Jean-Paul VALABREGA | bibliographie | < retour à la page précédente
Jean-Paul Valabrega (1922-2011), naît à Saint-Claude, dans le Jura, où ses parents, Edmond Valabrega et Suzanne Laure Wolf, tiennent une grande mercerie. Après ses études au lycée de la ville, il va faire des études supérieures à Toulouse (de philosophie et de biologie). Sa vie adulte débute dans une période sombre de l'Histoire. Mobilisé, il se retrouve dans la région de Clermont-Ferrand. A la débâcle de juin 1940, il décide de quitter son régiment pour entrer en Résistance. Il a 18 ans. Il rejoint à Toulouse le réseau Cavaillès-Cassou de la Montagne Noire, pour lequel il fabrique de fausses cartes d'identité, tout en continuant une partie de ses études dans la clandestinité.
Après guerre, il s'occupe d'une revue culturelle de dénazification en Autriche, et fait des va et vient entre Paris et Vienne ; puis il entre comme chercheur au C.N.R.S., dans le laboratoire du Pr Daniel Lagache, et s'inscrit en doctorat de psychologie. Comme bon nombre de collègues de sa génération, sa trajectoire sur le plan analytique est compliquée. Il a traversé activement trois scissions dans le mouvement psychanalytique français (1953, 1964, 1969) et appartenu à quatre associations. D'abord élève à la S.P.P., il fait une première analyse avec Georges Parcheminey (1888-1953) et, en 1953, participe à la “révolte des élèves” qui s'opposent à l'ouverture du deuxième Institut de psychanalyse proposé par Sacha Nacht. Ils suivront Daniel Lagache, Juliette Boutonnier et Françoise Dolto dans la première scission du mouvement psychanalytique français, et la fondation de la Société Française de Psychanalyse. Ils seront rejoints ensuite par Lacan et d'autres.
Jean-Paul Valabrega publie, dès 1952, ses travaux sur la relation médecin-malade, puis Les théories psychosomatiques en 1954, ouvrage couronné par l'Académie des Sciences morales et politiques. C'est alors qu'il rédige sa thèse, La relation thérapeutique, sous la direction du Pr. D. Lagache, qu'il rencontre Michael Balint, devenu, après son exil de Budapest, psychanalyste à Londres et secrétaire scientifique de la Société Britannique ; c'est le premier invité étranger à la S.F.P.
Jean-Paul Valabrega le fait connaître en France par la traduction, dès 1960, aux P.U.F., de son livre Le médecin, son malade, la maladie, puis de Techniques psychothérapeutiques en médecine, avec Judith Dupont, chez Payot (1966). Cela ouvrira une période d'expérimentation florissante des « groupes Balint », la création d'une Société Médicale Balint, et des liens entre l'Institut Tavistock et la S.F.P.
Jean-Paul Valabrega entreprend une deuxième analyse avec Jacques Lacan ; il restera à ses côtés lorsque se trament à la S.P.F. des négociations pour rejoindre l'Association Psychanalytique Internationale (A.P.I.). On se souvient qu'il s'agissait de « sacrifier » Jacques Lacan et Françoise Dolto comme didacticiens1… S'ensuivra la scission de la S.P.F. (1964), donnant deux associations : l'A.P.F. (A.P.I.) et l'Ecole Freudienne de Paris créée par Lacan. Devenu membre de l'E.F.P., Jean-Paul Valabrega participe aux Séminaires et contribue par des apports demandés par Lacan. Membre du premier Directoire, il démissionnera en 1969 avec Piera Aulagnier et François Perrier, après deux ans de désaccord avec Lacan, impuissants à l'empêcher d'introduire par la force la procédure de « la passe » pour la reconnaissance de l'analyste. Tous les trois fondent alors le Quatrième Groupe O.P.L.F. (Organisation Psychanalytique de Langue Française), tentant d'éviter à la fois les écueils ipéiste et lacanien, en créant une société plus démocratique, moins hiérarchisée. Le texte de fondation, le Cahier bleu - du nom de la couverture - qui sera publié dans le 1er numéro de Topique2, pose les principes de base : la séparation des pouvoirs analytique et institutionnel, le pluri-référentiel et la formation analytique comme processus et non comme cursus. Le Cahier bleu sera remanié plusieurs fois par lui et quelques collègues après les Sessions Réinstituantes et les Assemblées générales.
J.-P. Valabrega a tenu « le Groupe du lundi matin », un groupe de travail sur la pratique analytique, avec renouvellement régulier du Secrétaire, groupe d'une durée exceptionnelle, du début du Quatrième Groupe jusqu'en décembre 2010.
Depuis une vingtaine d'années il co-dirigeait avec l'ethnologue Nicole Belmont, sa deuxième épouse, un séminaire d'anthropologie psychanalytique à l'EHESS. Le thème de l'année 2010-2011 était « Compassion et empathie ».
Membre du Comité de rédaction de la revue Topique, créée en 1969 par Piera Aulagnier, il en a été, après la mort de Piera, le co-directeur (avec Nathalie Zaltzman et Sophie de Mijolla-Mellor, puis avec Sophie).
Son œuvre théorique va de la psychosomatique à l'anthropologie psychanalytique (cf. la bibliographie). J.-P. Valabrega a élaboré une théorie du contrôle analytique, « l'analyse quatrième ». Cette « nouvelle dénomination du contrôle » est en fait une théorie du contrôle, théorie qui n'avait pas été mise sur le métier depuis le début de sa pratique, exception faite de l'essai de Vilma Kovacs (1935-37). L'accent est mis non plus sur une relation à deux, de type maître-élève, mais sur une relation inter-analystes et sur le processus analytique dans sa continuité et sa pluri-référence. Le candidat continue son analyse par ce dispositif où il rapporte la cure qu'il mène avec son patient. Au-delà de la technique analytique et des questions théoriques soulevées, l'étude du transfert / contre-transfert / transféré y occupe une place centrale. L'analyste en position de « contrôleur » fait « une tâche et une expérience analytique particulière » : il se trouve en position quatrième, après le patient en analyse, l'analyste du patient et l'analyste de cet analyste en formation. Ces « quatre référentiels » permettent, selon Valabrega, « d'acquérir une ouverture sur la pratique du candidat et d'aider celui-ci à repérer les points de contact et d'interférence de sa pratique avec sa propre analyse. Par là-même ils ouvrent également une fenêtre sur le troisième référentiel, à savoir sur la pratique de l'analyste du candidat; sur ce qu'il a retenu de cette pratique, sur ce qu'il lui doit, ce qui l'en rend dépendant, en un mot sur ce qu'il en fait dans sa formation » (La Formation du Psychanalyste).
Résistant, J.-P. Valabrega l'a été contre l'Allemagne nazie et le pétainisme, puis contre l'abus de pouvoir de S. Nacht, les exigences de l'A.P.I., et de l'autocratie de J. Lacan. Mais il avait souhaité, avec ses collègues, les trois « Moustiquaires » comme ils se nommaient entre eux, continuer les échanges avec les collègues analystes séparés dans leurs différentes associations, les questionnant, invitant aux controverses, aux échanges sur la pratique et la théorie, ne craignant pas de piquer à vif la communauté analytique.
Nous portons une grande reconnaissance à cet analyste rigoureux, ce théoricien et homme plein d'humour.
Michelle Moreau Ricaud
1 : "Que les docteurs Dolto et Lacan prennent progressivement leur distances d'avec le programme de formation et qu'on ne leur adresse pas de nouveaux cas d'analyse didactique ou de contrôle" (API)
2 : Topique, PUF, 1969, n°1