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LE ROY GERALDINE, Hommage à Betty Joseph (1917-2013), publié le 19 Déc 2013
Résumé :
Betty Joseph (1917-2013)
Le 4 avril dernier s’éteignait à Londres Betty Joseph, psychanalyste membre de la société britannique de psychanalyse, l’une des dernières analystes britanniques à avoir été formée par Balint et par Mélanie Klein aux côtés de Bion, H. Rosenfeld et Hanna Segal dont elle était l’amie.
Clinicienne réputée outre Manche, en Espagne, en Italie, aux Etats-Unis et en Amérique du Sud, Betty Joseph est peu connue en France où son seul ouvrage, Psychic Equilibrium and Psychic Change, paru en 1989, n’a pas été traduit, même si nombre de ses articles ont été traduits dans diverses revues psychanalytiques francophones.
Née dans une famille d’origine juive émigrée d’Alsace en Grande-Bretagne au 18ème siècle, Betty Joseph a commencé par se former au travail social. Elle découvrit l’œuvre de Melanie Klein lors d’un stage dans un des premiers centres de guidance infantile implantés au Royaume Uni par le psychiatre Emmanuel Miller. Elle s’occupa avec Winnicott des enfants évacués pendant la guerre et débuta alors, sur la recommandation d’Esther Bick, une première analyse avec Michael Balint. C’est sur les conseils de celui-ci qu’elle posa sa candidature à la société britannique de psychanalyse dont elle devint membre en 1949. Lorsque Betty Joseph apprit sa qualification comme analyste, elle commença par la refuser, car elle ne se sentait pas prête à exercer. Mais celle-ci lui fut cependant confirmée six mois plus tard. Sans doute cela explique-t-il la grande indulgence pour les jeunes analystes débutants et leurs maladresses dont elle fit toujours preuve. Betty Joseph effectua ensuite une seconde analyse avec Paula Heimann et fut supervisée par Mélanie Klein qu’elle fréquentait également à titre amical.
Le travail de Betty Joseph s’enracine certes dans la tradition kleinienne, mais on peut aussi y déceler l’influence de ses deux analystes : Balint qui, comme Mélanie Klein, avait été analysé par Ferenczi, fut le premier à associer dans un texte de 1939 les notions de transfert et de contre-transfert ; Paula Heimann écrivit en 1950 le premier article consacré au contre-transfert.
Elle partage avec Bion le souci d’apprendre de l’expérience, l’idée que tout se situe dans un flot continu et une évolution constante, la notion de l’analyste comme contenant et réceptacle des projections du patient, l’idée que les mots peuvent être utilisés non pour signifier, mais pour évacuer quelque chose.
L’influence d’Herbert Rosenfeld dont elle a été proche puisqu’elle l’a aidé à angliciser l’anglais de son premier livre est aussi perceptible dans l’importance qu’elle attache à la mobilisation des différentes parties clivées du self du patient et notamment de sa partie infantile vulnérable.
Comme Mélanie Klein et Hanna Segal, Betty Joseph considérait l’analyse d’enfants comme essentielle pour la compréhension des patients adultes. Son activité d’analyste d’enfants explique son intérêt non seulement pour la parole, mais aussi pour les agirs des patients, adultes comme enfants. De là vient aussi certainement son insistance sur le recours à des interprétations simples, compréhensibles au niveau psychique le plus élémentaire, même si divers niveaux psychiques peuvent se condenser.
Betty Joseph a eu besoin de temps pour se sentir pleinement à l’aise en tant qu’analyste et développer son propre style.
Ce qui la caractérise, c’est sa manière d’aborder de manière extrêmement fine et détaillée, pour ainsi dire pas à pas, ce qu’elle appelle « la situation totale du transfert », c’est-à-dire non seulement ce que le patient dit, mais aussi ce qu’il fait dans la séance et ce que cela suscite chez l’analyste. Cette approche minutieuse de la séance lui permet de repérer à mesure qu’elles surgissent les traces des fantasmes inconscients comme de l’histoire du patient. Mais à la différence de certains de ses confrères kleiniens, elle insiste sur l’importance de commencer par interpréter ce qui se passe dans la séance, c’est-à-dire l’expérience émotionnelle vécue par le patient et l’analyste avant de rattacher celle-ci à l’histoire du patient ou à ses fantasmes, car c’est là que se trouve à ses yeux le levier du changement psychique.
La notion de changement psychique est le fil rouge qui parcourt l’œuvre de Betty Joseph. Elle figure d’ailleurs dans le titre de son livre Psychic Equilibrium and Psychic Change. Celui-ci rassemble les principaux articles qu’elle a écrits des débuts de sa pratique analytique jusqu’en 1989. Ses premiers écrits concernent les enfants, la compulsion de répétition, la personnalité psychopathique… C’est dans les années 1970 que ses idées se sont davantage formalisées. Pour elle l’analysant est mu simultanément par le désir de changer et par la peur du changement.
Betty Joseph explore ainsi comment certains patients préfèrent rester englués dans leurs symptômes et se détourner de tout insight et de toute aide, de manière à préserver leur équilibre psychique, si coûteux que celui-ci puisse être pour leur développement psychique et leur vie.
Elle décrit ainsi dans son article « The Patient who is difficulté to reach », des patients qui semblent collaborer à l’analyse, parlent, associent et acceptent les interprétations, sans que rien ne change pour autant pour eux. Avec eux, l’analyste a la curieuse impression qu’analyste et analysant sont en train de parler ensemble d’un patient, mais l’analyste n’a pas le sentiment de parler au patient. Celui-ci s’est en effet enfermé dans un système défensif paralysant, avec lequel l’analyste peut malgré lui entrer en collusion. Ces manœuvres, qui ne sont pas conscientes, permettent au patient d’éviter les angoisses terribles qui ne manqueraient pas de surgir s’il abandonnait un tant soi peu ses défenses.
Ce que Betty Joseph cherche à repérer dans son observation détaillée de la séance, ce sont les changements : le patient commence par évoquer une angoisse, puis revient sur un détail de son quotidien. Les variations observées dans la séance reflètent en effet à ses yeux les modifications qui se produisent constamment dans la vie quotidienne du patient lorsqu’il est confronté à l’angoisse. Ce sont ces infimes changements repérables dans la séance qui constituent la matière du changement à long terme. Betty Joseph ne conçoit pas que celui-ci puisse survenir sans être préalablement survenu dans la séance. C’est lorsque le patient a pu faire face différemment à une angoisse dans la séance qu’il pourra y faire face différemment dans le reste de sa vie.
C’est dans cette même perspective que l’on peut comprendre son article « Towards the experiencing of psychic pain » dans lequel elle décrit ce qui se passe lorsque le patient commence à abandonner ses défenses. Il éprouve alors une douleur intense, parfois vécue comme une douleur physique, alors qu’il s’agit en fait de douleur psychique.
Betty Joseph évoque encore dans « Addiction to near-death » des patients que la rigidité de leur arsenal défensif a enfermés dans un état proche de la mort, qui leur paraît toutefois préférable à la vie et aux terreurs qu’elle suscite en eux.
Essentiellement clinicienne, Betty Joseph s’est aussi intéressée à l’identification projective, à la manière dont différents types d’angoisse pouvaient se manifester dans la situation analytique, comme à la manière dont l’envie éprouvée par ses patients, et généralement méconnue par ceux-ci, pouvait s’exprimer dans leur vie quotidienne sous forme de blocage vis-à-vis de tout apprentissage ou être projetée sur leur entourage vécu alors comme envieux.
En 1962, Betty Joseph a initié au sein de la société britannique de psychanalyse un séminaire qui permettait aux analystes de confronter leurs idées et d’échanger. Ce séminaire est ensuite devenu un groupe de travail qui a perduré tous les quinze jours pendant près de cinquante ans. Les participants s’y retrouvaient pour réfléchir ensemble dans un climat de confiance sur leurs patients les plus difficiles. Ce groupe de travail a été aussi le creuset à partir duquel certains analystes ont pu développer et élaborer leur propre pensée (John Steiner, Ronald Britton, Michael Feldman, Inès Sodré…). Il a donné lieu à un ouvrage collectif In Pursuit of Psychic Change, dans lequel chaque article se trouve ensuite discuté et commenté par un ou plusieurs membres du groupe.
Betty Joseph fut présidente du Melanie Klein Trust de 1991 à 2006. Elle reçut en 1995 le Sigourney Award qui récompense des personnalités ayant apporté une contribution significative à la psychanalyse.
Bel exemple de longévité analytique, Betty Joseph continua à recevoir des patients jusqu’à l’âge de 90 ans et à superviser des analystes en Grande-Bretagne comme à l’étranger au-delà de cet âge. J’ai eu la chance de la rencontrer dans sa maison de Clifton Hill à Londres, voisine de celle où avait vécu autrefois Melanie Klein, où elle m’a accueillie avec gentillesse et intérêt. Elle avait alors 93 ans. Le regard pétillant et l’esprit vif et alerte, elle avait des opinions affirmées sur la psychanalyse et des points de vue tranchés sur les analystes qu’elle avait côtoyés au long de sa longue carrière.
Bibliographie
Joseph B. Psychic Equilibrium and Psychic Change, London, Routledge, 1989
Hargreaves E. and Varchevker A. (ed.) In Pursuit of Psychic Change, The Betty Joseph Workshop, Hove, Brunner-Routledge, 2004