Bibliographie
Marie-Thérèse MALTESE-MILCENT
membre honoraire
Livres
269 pages.
196 pages.
Articles
C’est au travers de la jouissance éprouvée lors de sa contemplation que l’œuvre d’art est ici abordée. Elle instaure en tant qu’objet une rencontre singulière Regardant-Regardé dans laquelle surgit par identification projective une jubilation esthétique qui la fait exister. De même que se sent exister celui qui la regarde, le Regardant. Il y aurait comme une « co-naissance » du Regardant et du Regardé. C’est de cet espace Regardant-Regardé qui renvoie à l’espace maternel, au sein des interactions primaires, qu’il a été tenté ici de la définir et de la distinguer de l’œuvre banale. A partir d’arguments cliniques des hypothèses sont discutées sur l’origine du processus créateur et de la créativité. L’un donnerait « naissance » à une œuvre d’art, tandis que l’autre serait une réalisation jusqu’à celle d’un bouquet de fleurs ou d’un plat cuisiné. Quelque chose de l’inconscient se donne à voir dans les deux cas.
Cet article est paru dans « L’œuvre d’art : un ailleurs familier – ACTES 3 – 2014 »
Présentation de l’ouvrage en cliquant sur le lien.
Interlignes
Faut-il en finir avec la notion de guérison en psychanalyse ? Conférence de M.T. MALTESE-MILCENT (Membre IV Groupe) 2017
Le fait de penser est une entreprise très dangereuse. Mais ne pas réfléchir est encore plus dangereux.
Hannah Arendt.
L’analyse ce n’est pas l’intra subjectif, c’est d’abord le relationnel.
N. Zaltzman en hommage à M. Enriquez - 29-3-98.
Certains d’entre vous ont, sans doute comme moi, entendu un journaliste de France Culture annoncer une émission sur « le charlatan viennois ». Ce poste de radio, dit culturel, duquel on attend réflexion et modération se met à participer à l’oeuvre de démolition de la psychanalyse qui est, vous le savez, attaquée de toute part. Tant par la vox populi que par les organicistes et autres philosophes. La psychanalyse se trouve aujourd’hui classée derrière les thérapies comportementales alors que les psychothérapies de tout ordre font florès. Il semblerait que l’on recense 400 nouvelles psychothérapies de par le monde et plus de 200 rien qu’en France : Aussi, vous proposer une discussion autour de la notion de guérison en psychanalyse peut paraître relever d’un esprit subversif.
Mais direz-vous, la psychanalyse n’a-t-elle pas été subversive dès l’origine en mettant fin au beau conte d’une vie infantile sans sexualité ? C’était il y a plus d’un siècle !
Mais, n’est-ce pas notre reconnaissance partagée d’un travail psychanalytique porteur de vie, et le sentiment « d’être » acquis par ce même travail qui permet à Christine ANGOT d’écrire fermement : « La psychanalyse m’a sauvé la vie, c’est clair et net. L’écriture ne sauve la vie de personne… » ?
L’IDÉE DE GUÉRISON
Aussi, travailler autour de « l’idée de guérison », du mot « guérir », nous a conduit non pas à chercher la pertinence, mais à nous poser plusieurs questions autour des propositions freudiennes et de la clinique d’aujourd’hui :
- Faut-il suivre Freud dans son assertion de 1937 quand il écrit : le but et la tâche de l’analyse sont accomplis dès lors qu’elle « rétablit pour les fonctions du moi des conditions psychologiques favorables ?
- Faut-il revenir à 1909 quand il affirme dans l’observation du Petit Hans : « La psychanalyse « n’est pas une recherche scientifique impartiale, mais un acte thérapeutique, elle ne cherche pas, par essence, à prouver, mais à modifier quelque chose ».
-Dans notre société où le sujet contemporain n’arrive plus à s’inscrire dans l’ordre symbolique des générations, peut-il, le psychanalyste, adhérer aux préceptes freudiens ?
-Peut-il rester un analyste « apathique » tel que le définit Laurence Kahn dans son dernier livre ?
Le terme « guérison » suscite tellement de craintes et d’espoir, que proposer une définition quand chacun de nous, membre d’une communauté humaine et sociale, peut en formuler une, paraît bien difficile. In fine, n’est-ce pas de l’ultime angoisse de castration, la crainte de la mort, dont chacun voudrait guérir ?
Pour l’heure, je vous proposerai à partir des visées thérapeutiques freudiennes une approche et non une définition de l’idée de guérison...(suite)
À L’ÉCOUTE DU MASOCHISME
C’est au cours d’un travail sur l’écoute que s’est imposée la nécessité d’interroger la théorie freudienne sur le concept de masochisme, autour de ce plaisir du déplaisir qui le constitue. De mettre en commun et d’élaborer notre écoute psychanalytique.
Apparaît un masochisme repérable comme fait clinique au-delà d’une organisation psychique singulière. Un masochisme constitué par des éléments symptomatiques caractérisant une subjectivité fragile, un mode d’être disqualifiant le Moi avec l’émergence d’une détresse souvent sans lien direct avec la réalité : passivité face à l’agression extérieure, auto reproches, sentiments de honte, conduites d’échec, crainte de l’inconnu, tentatives de maîtrise donnant à entendre d’énigmatiques tendances masochiques en contradiction avec le principe de plaisir. Autrement dit, des modes d’expression d’une forme de masochisme et non d’un masochisme unifié originaire, comme l’instaure Freud en 1924. (Le problème économique du masochisme in Névroses Psychoses et perversions, PUF).
La conception freudienne d’un masochisme unifié originaire interroge :
- Peut-on unifier ces différents modes d’expression du masochisme en le ramenant à Un masochisme essentiel ? Comment résoudre cette aporie, ce plaisir issu d’un déplaisir quand le principe de plaisir domine les processus psychiques ? Freud a bien tenté d’y donner une issue par le recours à la pulsion de mort en 1924 (évoqué plus haut). Elle n’a pas empêché, déjà en 1931, ce cri du cœur à S. Ferenczi : « voilà encore ce maudit problème du masochisme ! »
Elle appelle plusieurs questions :
- Si ce plaisir issu d’un processus qui devrait produire du déplaisir, paradoxal donc, et qu’en ceci il est pervers, n’ouvre-t-il pas la question d’une théorie du plaisir ?
- Si, comme la métapsychologie l’indique, le plaisir est consécutif à une baisse de la tension, comment résoudre « ces énigmatiques tendances masochiques du Moi » ?
- Si le déplaisir est lié aux inévitables tensions intrapsychiques comment se pose le problème économique ?
- Et si la douleur est plaisir, que devient la cure ?
Fut ainsi entrepris un grand voyage à travers les textes freudiens des post-freudiens jusqu’à nos contemporains. Mais pas seulement. Les écrivains qui nous en apprennent autant que les patients sur les déploiements de la psyché furent revisités. À commencer par Dostoïevski et « son » joueur, les cinéastes comme l’américain Darren Aronofsky qui met en scène dans son film THE WRESTLER en 2009 une star du catch des années 80, « LE BÉLIER », dont le narcissisme expansif le conduit à sa perte (mort). Et aussi « le rêve de la belle bouchère » choisit par Freud pour décrire chez le sujet hystérique, le désir d’un plaisir insatisfait. Nous y reviendrons.
ÉNIGME du Masochisme, paradoxe de ce plaisir du dÉplaisir, QU’avons-nous gardE de la thÉorie freudienne et de quelques autres ?
Disons le tout de suite, la position de Freud a oscillé entre la primauté d’un masochisme érogène et celle d’un sadisme retourné contre soi.
Selon Freud, le masochisme se trouve à l’œuvre dans un processus à trois faces : Érogène- Féminin- Moral.
- Érogène, comme source de l’excitation sexuelle liée au plaisir de la souffrance. (Il signifie être dévoré au stade oral. Être battu au stade sadique-anal. Être castré au stade phallique. Subir le coït, enfanter dans la douleur, et encore être violé).
- Féminin, comme « expression de l’être de la femme » justifiée selon Freud par les fantasmes repérés dans la clinique. C’est-à-dire castrée par les menstruations, le coït l’accouchement. Et chez l’homme figuré castré symboliquement par une mère fantasmée castratrice et terrifiante. Il est présent donc chez la femme et chez l’homme. (Passivité = féminin. Activité = masculin)
- Moral, comme norme d’un comportement de vie qui tend une joue pour recevoir une claque.
En 1905, le masochisme est défini par Freud, par la tendance du masochiste à endurer de son objet aimé toutes les humiliations et tourments sous une forme symbolique comme sous une forme réelle. (Trois essais sur la théorie sexuelle p. 69).
Il est alors primaire et érogène.
En 1919, c’est le sadisme qui a la primauté : « le masochisme, énonce-t-il, n’est pas une manifestation pulsionnelle primaire, mais il provient d’un retournement du sadisme contre la personne propre ». (In, « Un enfant est battu »)
Projeté sur l’objet haï le sadisme est retourné, par culpabilité, contre soi.
Le masochisme est secondaire et non plus primaire.
En 1920 Freud pense résoudre cette difficulté à trouver une source et une compréhension à ce paradoxal plaisir du déplaisir, par une pulsion de mort, force biologique irréductible à autre chose qu’à elle-même. Dès lors, le couplage Pulsion de vie/ Pulsion de mort donne au fondement du masochisme une force endogène et non sexuelle.
La pulsion de mort, tendance naturelle d’un retour à l’inanimé, à travailler contre soi voire à l’anéantissement de sa propre existence, résout l’énigme et le problème. Déliée et dirigée vers l’extérieur, elle devient pulsion de destruction et d’emprise; liée par la libido sexualisée elle devient sadique : au-dedans le masochisme, au-dehors le sadisme.
En 1920, le masochisme redevient Primaire.
À cette date, il semblerait que c’est la contrainte de répétition, hors du champ sexuel, qui oriente Freud vers une nouvelle théorie des pulsions et de leur destin par le couplage Pulsion de vie/Pulsion de mort, Éros/Thanatos. (Au-delà du principe de plaisir, 1920).
Sans doute faut-il aussi se souvenir qu’au début des années 20, Freud est confronté à des pertes à répétition : toutes ses économies se sont envolées à la suite de la première guerre mondiale, tous ses espoirs d’aide financière disparaissent avec la mort de son riche ami Anton Von Freund, sa fille Sophie -26 ans- meurt brutalement d’une pneumonie grippale. Tandis que, écrit-il à S.Ferenczi le 4 février (p.358), « Je me suis préparé pendant des années à la perte de mes fils, et maintenant c’est ma fille qui est morte… tout au fond de mon être, je décèle le sentiment d’une offense narcissique irréparable ». Perte, blessure narcissique irréparable… La castration ultime, la mort rôdent…
Mais, 4 ans plus tard, en 1924 avec l’étude du Problème économique du masochisme, considérée comme son ultime transmission, Freud reconnaît que l’« On est en droit de trouver énigmatique du point de vue économique l'existence de la tendance masochique dans la vie pulsionnelle des êtres humains. En effet, si le principe de plaisir domine les processus psychiques de telle façon que le but immédiat de ceux-ci soit d'éviter le déplaisir et d'obtenir le plaisir, le masochisme est inintelligible» (Le Pb. économique du masochisme, 1924, PUF, p.286 éd, 1978).
En effet, plaisir du déplaisir, voire de la souffrance, la pensée achoppe. La contradiction, avec l’organisation de la vie psychique dans laquelle le principe de plaisir « gardien de notre vie » domine, est patente. Des questions s’imposent :
- Que devient le but de la cure si dans la « Réaction thérapeutique négative », associée au masochisme moral aussi bien par Freud que par la pensée psychanalytique, la souffrance, objet et moteur du progrès de la cure devient plaisir?
- Qu’est-ce qui pousse cette patiente ce patient à répéter les mêmes comportements, à se trouver dans les mêmes situations, à « s’inventer », se créer des symptômes nouveaux et continuer à se plaindre ?
- Serait-ce pour tirer du plaisir de leur souffrance ou pour obtenir de leur mère-père analyste quelque chose qu’ils n’ont jamais reçu ?
Énigme pour Freud comme pour nous, le masochisme reste un obstacle et pour la théorie et pour la pratique.
Je viens de le dire, Freud lui-même reconnaît en 1924 que, du point de vue économique, le masochisme est inintelligible. On peut avancer, que dans une cure « interminable» la séparation est conflictuelle, qu’elle suscite l’angoisse de la perte, celle de la relation analytique et au-delà celle de castration. Mais qu’en est-il de cette recherche du plaisir dans le déplaisir inféré au masochiste ?
Dans la théorie freudienne, cette idée subversive ne provient-elle pas, du fait que la tension d’excitation bien que douloureuse contienne du plaisir ? Ce plaisir paradoxal, masochique de la douleur, ne devient-il pas dans la 2è topique dans la 2è théorie des pulsions, le modèle du plaisir ?
Avec la mise en scène d’« Un enfant est battu » Freud donne, en 1919, la primauté au sadisme. Dans cette scène réelle ou fantasmée un enfant, un garçon assiste à la vision de son père battre son frère qu’il jalouse et qu’il hait.
Voir son frère subir les coups du père provoque, par la liaison d’Éros, un plaisir sadique fondé sur la liaison et non sur la décharge. Mais être battu par le père, c’est aussi, être dans une position passive de fille et se trouver à la place de la mère, être donc aimé du père.
L’identification inconsciente au frère battu par le père, position masochiste, apaise la culpabilité de jalousie et de haine à l’égard du frère. Elle condense l’érotisme et le sadisme. Le masochisme comme retour du sadisme sur soi par culpabilité, satisfait Freud qui donne ici, la primauté au sadisme. Cependant, bien après 1914 et son Introduction du Narcissisme, il ne semble pas prendre en compte la blessure narcissique réactivée chez l’enfant par la position objectale rejouée par son père. Il bat son frère et pas lui, il aime donc son frère et pas lui. Le discours inconscient de l’enfant pourrait se formuler de la manière suivante : si mon père bat mon frère c’est qu’il le reconnaît et qu’il l’aime, tandis que moi, il ne me reconnaît pas, il ne m’aime pas. Je n’existe pas.
Se faire battre reviendrait à instaurer une relation même mauvaise plutôt que pas du tout, à trouver la nécessaire reconnaissance narcissique de l’objet pour se sentir exister :
- « Quand je souffre, j’existe », dit un patient.
- Une patiente se plaint d’être « transparente » aux yeux de sa mère qui, au lieu de l’écouter, ne parle que d’elle. La solution trouvée à cette non-reconnaissance narcissique, à cette blessure, a été de manière répétitive de quitter par avance ses objets d’amour. De sacrifier le versant tendre de la pulsion à l’autel du narcissisme. Autrement dit, de sacrifier sa libido d’objet à sa libido du Moi. Ici, mais ce n’est pas notre propos, le clivage libido d’objet, libido du Moi est la conséquence de l’échec de l’introjection d’un objet suffisamment bon. (Ferenczi 1909)
Dans LE fait clinique
La quête de la reconnaissance narcissique de l’objet - une constante aussi bien dans les organisations à versant névrotique qu’à versant psychotique- ouvre des chemins nouveaux de réflexion :
-Les plaintes réitérées sur le mode d’une souffrance psychique supposée infligée par l’autre, font-elles écho à un plaisir issu de la transformation du déplaisir (de la tension) en plaisir ? D’une transformation solipsiste du fonctionnement de la psyché qui n’inclut ni l’objet ni l’échange avec celui-ci ?
- La souffrance éprouvée, exprimée par l’indifférence, la négligence, la mésestime, la violence, la cruauté de l’objet d’amour ou encore social, ne résulte-t-elle pas du lien, des retrouvailles entre perception de l’objet (externe) et de sa représentation ?
- Les blessures dénoncées sur le mode d’un sentiment de honte, d’humiliation, de la dévalorisation de soi : projets qui ne se réalisent pas, échecs qui se répètent liés ou non à la réalité des faits, ne sont-elles pas l’écho de la recherche désespérée d’une relation qui n’a jamais eu lieu avec un objet introjectable ? Ne témoignent-elles pas de l’échec de la mise en œuvre de la relation primaire objectale ? N’évoquent-elles pas un narcissisme blessé, béant, mal ou pas établi ? Un narcissisme en négatif, sous-tendu par la quête incessante de sa restauration?
Au cours de ses premiers travaux (1ère Topique), Freud suppose que la décharge des tensions passe par la présence de l’objet et donc d’une « certaine liaison avec celui-ci, un lien entre perception et représentation ».
Ainsi fondée, cette conception implique un plaisir issu de la liaison et non de la décharge. Une différence serait alors à faire entre décharge comme plaisir et évacuation évitement de la tension comme principe de stase intrapsychique.
Or, l’objet, nous dit Freud, « naît dans la haine » tandis que C. Le Guen appelle cette période où se constitue l’objet, celle de l’Œdipe originaire (appelée par d’autre angoisse du 8è mois). Elle préfigure celle du complexe d’Œdipe à venir.
Dans cette dernière, confronté à l’apparition d’un inconnu un étranger -le père ou son substitut-, l’infans se trouve précipité d’une situation de toute puissance (le narcissisme primaire) à celle d’une situation de dépendance à l’objet : il n’est pas « tout » pour l’objet ; un autre que lui le retient et le satisfait. Un choc psychique, tel un tremblement de terre provoqué par l’épreuve de réalité, fait effraction alors dans sa psyché en devenir.
Avec Freud, nous savons qu’un choc psychique est nécessaire pour qu’un changement puisse avoir lieu dans le psychisme. Il sera progrédient, initiera une phase nouvelle du développement, tandis que les failles de l’objet, les défaillances de la relation primaire viendront l’entraver. Les avatars qui prennent la forme de la crainte du changement et la reviviscence de la première blessure narcissique, ouverte par l’expulsion de l’infans hors du monde utérin, ne nous laissent pas surprendre. Un Objet absent, défaillant, blessé narcissiquement ne permettra à son petit ni la constitution d’un bon objet interne ni l’octroi de la confirmation narcissique nécessaire à la différenciation et à la séparation Moi/Objet. Mal organisé le Moi n’aura de cesse de trouver des solutions pour colmater la blessure narcissique subie.
Les solutions masochiques seront alors une des modalités, pour limiter, éviter l’effondrement narcissique dussent-elles mettre le sujet en danger comme dans les perversions. Des tentatives de maîtrise de l’objet où s’engouffrent les situations d’échec voire d’humiliation seront de même mises en œuvre.
Toute perspective de changement, nouveau travail, nouveau cadre de vie, nouvelle relation affective ou sociale, ouvre la confrontation avec l’inconnu (la présence du tiers inconnu, de l’autre « l’étranger », auprès de l’objet). Elle réactive la situation d’effroi éprouvée lors de la constitution du Moi/non-Moi, de l’épreuve de réalité, réactualise la blessure narcissique de la scène de l’Œdipe originaire, perturbe la stase énergétique.
Un Moi peu ou mal structuré par les distorsions de la relation objectale précoce, ne pouvant différer l’excitation pulsionnelle par une liaison entre affects et représentation cherchera à l’abaisser, soit par un évitement des sources de la tension, soit par une modalité d’évacuation des charges. Un mode d’abréaction sera trouvé dans l’échec de la réalisation. Échec du projet, échec de la rencontre certes, mais l’effondrement est évité, le narcissisme sauvé.
Dans cette configuration, le plaisir ne résulte plus du déplaisir sans l’inclusion de l’objet, mais de la décharge de la tension provoquée par sa représentation dans l’inconnu. Le plaisir n’est pas lié au déplaisir de l’échec, mais à la sauvegarde du narcissisme. Le déplaisir est pour le Moi et le plaisir pour le Moi- Idéal. Notons que dans certaines organisations psychiques, le plaisir sera pour l’Idéal du moi. Déplaisir donc pour une instance, plaisir pour une autre.
Freud, d’ailleurs semble en convenir en 1920 dans « l’Au-delà du principe de plaisir » quand il dit : « … la majeure partie des expériences que la compulsion de répétition fait revivre, ne peut qu’apporter du déplaisir au moi (…) mais, il s’agit d’un déplaisir qui (…) ne contredit pas le principe de plaisir, déplaisir pour un système, mais en même temps satisfaction pour l’autre ».
Le désir insatisfait constitutif du rêve de la Belle Bouchère que rapporte Freud -nous sommes en 1899- pour démontrer que dans tout rêve se cache l’accomplissement d’un désir, met au jour d’une part, la liaison de la représentation de l’objet avec l’affect à l’œuvre dans le comportement d’échec et d’autre part, le sacrifice de la satisfaction d’une instance au profit d’une autre. Dans sa mise en scène onirique, la Belle Bouchère maintient son désir insatisfait - inviter son amie à dîner-, tandis qu'elle en satisfait un autre, la tenir éloignée de son mari. Elle sacrifie son Moi libidinal au profit de son Idéal de Moi, une instance au profit d’une autre. Ce faisant, ne fait-elle pas le choix de souffrir un peu aujourd’hui, pour moins souffrir demain ?
Et qu’en est-il de la relation transférentielle dont Freud ne parle pas? Pourtant, c’est dans la visée de mettre en échec sa théorie du rêve comme accomplissement d’un désir que la Belle Bouchère raconte son rêve à Freud: « Je vais vous raconter, lui dit-elle, un rêve qui est tout le contraire d’un désir réalisé ». La question est donc celle-ci : est-ce que le plaisir de la Belle Bouchère est issu de la transformation du non-plaisir en plaisir ou de la satisfaction narcissique de mettre Freud en échec ?
Le paradoxe de l’élaboration du concept de masochisme ne se trouve-t-il pas dans le fait qu’après avoir introduit en 1914, un « narcissisme qui ne serait pas une perversion…pouvant entrer dans un champ plus vaste et revendiquer sa place dans le développement sexuel régulier », Freud ne lui accorde pourtant pas une place fondatrice dans l’organisation du Moi ? Car, nous en conviendrons, c’est la qualité de l’investissement narcissique et pulsionnel parental qui permettra, ou non, au bébé d’exister comme sujet. En effet, si le bébé doit être objet de satisfaction pulsionnelle affective, il ne doit pas être réduit à un objet d’investissement d’emprise et moins encore de décharge incestueuse. La pratique nous permet de considérer qu’un transfert parental trop fusionnant ou à contrario sidérant (par son absence psychique) non seulement barre l’accès à la phase du complexe œdipien, mais encore propulse le développement psycho sexuel du bébé vers des organisations mortifères possibles.
PEUT-ON SORTIR DU PARDOXE MASOCHIQUE ?
Tenir compte de la nécessaire intégration pulsionnelle du narcissisme lors de la relation primaire objectale nous paraît essentiel. Comme chacun le sait, une psyché s’organise et se construit en interaction avec une autre. Tout comme « Un Bébé seul, ça n’existe pas » (D.W.Winnicott 1969), une psyché seule ça n’émerge pas ni n’existe.
La reconnaissance narcissique et son intégration pulsionnelle passe par un éprouvé d’être reconnu par les deux imagos identifiantes. Elle ouvre la voie aux processus de différenciation et de séparation qui, eux, donnent accès au développement du sentiment d’exister, au sentiment d’être semblable et différent à la fois. Autrement dit, l’identification (réussie) simultanée au père et à la mère permet l’élaboration de la représentation d’un objet introjectable. Un objet suffisamment bon (D.W. Winnicott) permettant la construction du moi.
Que nous faut-il donc écouter ?
Le psychanalyste d’aujourd’hui peut-il entendre ce que cache le discours masochique ?
Énoncer que derrière celui-ci se trouve à l’œuvre une silencieuse pulsion de mort, un besoin inconscient de punition, une culpabilité inconsciente qu’il va falloir débusquer, nous semble faire l’impasse sur la nécessité de l’épreuve de réalité que doit opérer le Moi pour se projeter vers l’avenir. Sur la discontinuité, les dysfonctionnements de la relation d’objet précoce qui entravent et empêchent de se détourner du narcissisme primaire et se projeter vers l’avenir. Ils sont (ces dysfonctionnements) source de toutes les tendances extrêmes propres à la destruction de l’autre et de soi. Celles, entre autres, si bien décrites par G. Lévy dans « L’ivresse du Pire » (Campagne Première, Paris, 2010) et celles, si bien mises en scène dans le film THE WRESTLER (2009) du cinéaste Darren Aronofsky, quand le « soi grandiose » lance un défi à la castration ultime, la mort.
Les plaintes réitérées, les conduites d’échec, voire les mises en danger vital, ne sont-elles pas l’écho d’un objet incorporé et non introjecté. D’un retour en son contraire du narcissisme de la toute puissance primaire. D’un désir, qui n’a de cesse d’y faire retour et qui donne lieu dans les organisations à versant psychotique à ce que Kohut appelle « le soi grandiose » ?
Le discours du masochiste ne dit-il pas à mots couverts une souffrance liée à un objet défaillant ? Ne laisse-t-il pas entendre le bruit d’une plaie narcissique toujours ouverte ? Une plaie qui n’a de cesse d’être réparée ?
Chacun le sait pour pouvoir se projeter vers l’avenir, le Moi devra réussir à abandonner sa toute puissance infantile primaire, lui tourner le dos au cours de la traversée de l’épreuve de réalité. Réussie et intégrée par le lien représentation et objet - externe-, outre la différenciation Moi/non-Moi, l’épreuve de réalité permet une décharge plus modérée nécessaire à l’investissement du Moi.
Une relation objectale intégrant la reconnaissance narcissique permettra au sujet en devenir de métaboliser le déplaisir issu des tensions intrapsychiques et de différer le plaisir. Tandis que l’échec de l’introjection d’un bon objet, l’incorporation d’une mère morte dans le sens d’A. Green, de parents humiliés, blessés narcissiques ; toute entrave liée à la confirmation narcissique du Moi laissera à l’œuvre les traces de la blessure, voire du traumatisme des temps anciens.
Dès lors, le recours du Moi à des solutions masochiques aura pour but, d’instaurer une relation objectale fut-elle mauvaise plutôt que rien. De lutter contre l’effondrement narcissique toujours menaçant. De supporter un moindre mal pour en éviter un plus grand. De perdre un peu, pour éviter de perdre le tout limitant dans le même mouvement l’angoisse de la perte et au-delà, celle de castration.
Nous avons là une conception du masochisme dont l’énigme, me semble-t-il, passerait par une révision de la place et de la fonction du narcissisme dans le système intrapsychique. Serait-elle résolue par l’instauration d’un narcissisme que j’appellerai « tempéré » ?
Jacques André qui a rédigé l’introduction de « l’Enigme du masochisme » dans la PBB Payot se demande si l’énigme du masochisme ne serait pas l’énigme du narcissisme?
Il va sans dire que non seulement le débat n’est pas clos, mais suscite encore questionnements et recherche.
M-T. MALTESE-MILCENT
Bibliographie :
Collectif : L’énigme du Masochisme, Petite B.B. de Psychanalyse, PUF.
Dostoïevski : Le joueur, GF-Flammarion.
S. Ferenczi : Psychanalyse.Œuvres TI -TIII et TIV. Payot.
S. Freud 1919 : On bat un enfant in Névrose, Psychose et Perversion PUF.
S. Freud 1914 : Pour introduire le Narcissisme, in La Vie sexuelle, PUF.
S. Freud 1924 : Le problème économique du masochisme in, Névrose, psychose, perversion, PUF.
S. Freud 1924 : Au-delà du principe de plaisir, in Essais de psychanalyse, P.B.B. Payot.
A. Green : La mère morte, in Narcissisme de mort Narcissisme de vie. Les Ed de Minuit.
B. Grunberger : Esquisse d’une théorie dynamique du masochisme, in RFP. 1954, PUF.
T. Reïk : Le masochisme, Payot.
B. Rosenberg : Le masochisme mortifère, masochisme gardien de la vie, PUF.
D.W.Winnicott : De la pédiatrie à la psychanalyse, Payot.
The Wrestler, film de Darren Aronofsky. 2009
Résumé :
L’écoute clinique donne à entendre différents modes d’expression du masochisme qui obligent à interroger la conception freudienne d’un masochisme originaire unifié, tel qu’il est formulé dans le Problème économique du masochisme (1924) considéré comme l’ultime transmission de Freud sur ce concept. Pour tenter de comprendre l’énigme de ce plaisir du déplaisir constitutif du masochisme, en contradiction avec le principe de plaisir à l’œuvre dans l’organisation psychique, les voies de réflexion ici proposées sont issues d’un travail collectif. L’essentielle nous a paru être celle de l’impasse que fait Freud sur la place fondatrice du narcissisme dans l’organisation psychique du sujet : l’énigme du masochisme serait-elle l’énigme du narcissisme ?
PAR QUELS CHEMINS LA PETITE FILLE DEVIENT FEMME ET MÈRE À LA FOIS ?
Pour commencer une assertion de Samuel Beckett qui est dirais-je un défi lancé aux psychanalystes et particulièrement à mon équipe et moi-même dont le fil rouge depuis plusieurs années est l’écoute. Je vous la livre : Se taire et écouter, pas un être sur cent n’en est capable, ne conçoit même ce que cela signifie. – Samuel Beckett
Il faut bien le dire, malgré l’expérience avérée, des points noirs persistent. Mais pas seulement. D’autres éléments sont à prendre en compte.
Suivre les chemins par lesquels la petite fille devient femme et souvent mère met au cœur du débat plusieurs couples d’opposés : le masculin et le féminin, la mère et l’infans, le sexuel et le maternel. C‘est dire si les rejetons des relations précoces mère enfant seront multiples et nombreux. Et que la fillette les trouvera au cours de sa construction de femme et de mère quand elle le devient.
Nous avons tenté de les débusquer.
Déjà, quand Freud soutient que la libido est de façon régulière masculine (-1905- Trois essais sur la théorie sexuelle – NRF, p.161) et demande de reconnaître qu’au stade phallique, « la petite fille est un petit homme » (1915- Nlles conférences- NRF, p.158) on est désorienté. Et même si on reconnaît avec lui, qu’au stade anal la petite fille ne témoigne pas moins d’agressivité que le petit garçon, il est observable que, très tôt, elle se distingue de lui. Mais selon sa théorie phallocentrique Freud développe l’idée que garçon et fille traversent de la même manière les premiers stades de la libido. Le clitoris bien que plus petit, sert à la fille d’équivalent du pénis et le vagin, qui la spécifie, n’est encore découvert ni par elle ni par le garçon.
Vous le savez, ces théories freudiennes sur la sexualité féminine ont donné naissance à deux courants opposés : celui qui croit au vagin et celui qui n’y croit pas.
Aujourd’hui d’éminents travaux tels ceux de Monique Cournut-Janin, Florence Guignard et de Jacqueline Schaeffer, pour ne citer que ceux-ci, ont permis des avancées considérables pour aborder la sexualité féminine autrement. D’une part, par la prise en considération de l’attachement préœdipien de la fille à la mère et d’autre part, par l’abord du masculin et du féminin comme des qualités psychiques et non biologiques.
Un premier fait aujourd’hui admis est que le féminin et le maternel constituent lors de la relation primordiale mère infans un bain d’affects dans lequel fille et garçon se trouvent immergés. Pour s’en séparer et se différencier tous les deux devront s’en détourner, mais ils ne rencontreront ni les mêmes obstacles ni les mêmes apories. C’est que la différence de sexe entre elle et son fils renvoie la mère à la loi du père et la rassure, tandis que la similarité avec celui de sa fille la met face à elle-même, en danger.
Si l’on admet que la femme est dans la mère et la mère dans la femme on acceptera que ce soit son féminin qu’elle transmet. Pour comprendre comment la fille devient femme et mère souvent, il nous faudra, donc, examiner les perturbations narcissiques et libidinales issues de leurs toutes premières relations.
On ne peut s’empêcher de penser à la culture qui marque de son sceau les schémas de pensée et la psychanalyse aussi bien. Force est de constater que la grande majorité des parents investit beaucoup mieux le garçon que la fille. Car le garçon vient confirmer leur narcissisme phallique ou, pour le moins, le conforter ; tandis que la fille sera celle qui réactive leur première blessure narcissique la perte de leur moi idéal : la toute puissance infantile. Elle les blessera d’autant plus, que mère et père ne se trouvent assurés ni de leur narcissisme ni de leur identité sexuelle.
Et, c’est depuis la nuit des temps que la littérature masculine clame la suprématie de l’homme sur la femme, tandis que la littérature féminine bruit des souffrances éprouvées par le fait, quand ce n’est pas la faute, d’être née fille. Sur nos divans, ce sont les blessures qui entravent le sentiment d’être et le goût de vivre que nous entendons s’exprimer.
En voici quelques unes:
« Il a suffi à mon frère de paraître pour être aimé »,
« Pour ma mère je suis transparente »,
« Sans pénis, je n’étais rien pour ma mère… Avec l’arrivée de mon frère, je n’ai plus existé!»
Or, la polysémie de la vie fantasmatique inconsciente des hommes et femmes donne à percevoir la quête du phallus idéalisé du père mais tandis que les hommes tentent de s‘extirper du giron maternel, les femmes n’ont de cesse d’être reconnues dans leur intégralité : au libre exercice de leurs aspirations personnelles et à la jouissance d’une sexualité pleine et entière.
LA TRANSMISSION DU NARCISSISME ET DU PULSIONNEL
L’investissement narcissique parental qui a donc partie liée avec le sentiment d’exister du petit d’homme me fait considérer que le premier de cet investissement est anténatal. Et qu’à ce moment il s’agit d’un narcissisme représentant de la libido du moi et pas encore de la libido d’objet.
Il me semble que la psychanalyse ne s’est pas intéressée à ce tout premier investissement anté natal qui préfigure celui de l’infans. Et si avec Freud nous concevons que l’organisation libidinale trouve ses racines dans le narcissisme primaire (« Pour introduire le narcissisme »), nous pensons que ces racines plongent dans la psyché maternelle anté et post natale. N’est-ce pas avec cette même psyché que la mère dispense soins et caresses à son bébé et qu’elle est sa première séductrice par le sens énigmatique qu’ils revêtent?
Dès lors ne peut-on considérer que par leur biais, sont transmis au bébé les fantasmes inconscients de la mère mais aussi ceux du père puisqu’il est présent dans la relation ?
On peut objecter qu’il est difficile de comprendre comment un contenu psychique inconscient passe d’une génération à une autre ? Comment des éprouvés et des conduites se reproduiraient à l’identique, sur plusieurs générations quand, secrets et désirs insatisfaits sont scellés, inavoués.
Haydée Faimberg avance que, dans le télescopage des générations, il y a une identification narcissique que l’on repère dans le transfert. Selon elle, un investissement narcissique massif empêche l’enfant de se distinguer et de se séparer. Il me semble que l’expression « narcissisme massif » laisse entendre un narcissisme de mort tel que A. Green l’a décrit. Ce serait alors un narcissisme clivé de la maturation pulsionnelle (B. Grundberger) qui fait obstacle à l’altérité, à la reconnaissance de l’autre semblable et différent à la fois. Autrement dit, un narcissisme expansionniste qui fait barrage aux capacités de différenciation et de séparation de l’infans et le maintient dans la fusion.
Dominique Guyomard qui a introduit la notion de « narcissisme du lien » invite à mieux comprendre ce qui se passe lors de cette première expérience sensorielle préverbale mère-infans. S’instaure, soutient-elle un narcissisme du lien porteur de la mémoire d’une jouissance oubliée. Celle-là même du bébé qu’elle a été et qui vient se réactiver par la mise au monde du sien. Un lien d’une séduction partagée qui doit être éphémère pour être structurant et donner naissance à l’objet. Ce qu’elle appelle « l’Effet Mère ». Un « Effet Mère » qui se répète de génération en génération.
Il s’agit là d’un plaisir réciproque éphémère et que la perte n’est pas celle de l’objet mais celle de la relation. J’ajouterai que ce lien peut avoir lieu sans plaisir partagé et que dans les deux cas ce narcissisme du lien préfigure le temps de l’homosexualité primaire. Lequel, ainsi que je l’avance plus loin, ouvre la voie à l’organisation narcissique et libidinale du sujet. Construction dans laquelle toutes les instances sont l’une à l’autre liées.
Aussi, un lien précoce mère-infans trop érotisé ou, à l’inverse clivé de libido aura des conséquences néfastes sur le féminin de la petite fille. Pour le dire vite, sur son identité sexuelle (et tout autant sur celle du garçon).
Je vous propose deux vignettes qui me paraissent significatives des deux cas de figure :
- Le cas d’un trop de séduction maternelle :
Est celui d’une jeune femme, troisième fille consécutive d’une fratrie de quatre dont le frère est arrivé après elle.
Elle vient me trouver aux alentours de ses 28 ans parce qu’elle est rejetée, abandonnée, pas aimée. Ni de son directeur de thèse, ni de son ami et moins encore de sa mère. Au moment de son engagement dans l’aventure analytique elle me « lance » d’entrée : « Je viens de rompre avec mon ami pour venir chez vous ».
Au moment où j’écris cela, me revient la menace faite à Don José par Carmen, dans l’Opéra de G. Bizet (Prosper Mérimée) : «mais, si je t’aime prends garde à toi ». La sienne, celle de partir, de me quitter, si je ne l’assurais de toute ma disponibilité ne tarda pas à venir.
Se sachant entendue, sans doute pour la première fois, séance après séance, elle parlait sans s’arrêter. Par là, elle me signifiait son besoin de reconquérir son intégrité narcissique et de se sentir exister. Dans son discours venait au jour une haine passionnelle pour sa mère. Haine passion qu’elle rejouait sur la scène de ses relations et qu’elle me faisait vivre dans le transfert. Chemin faisant le sentiment de ne pas être écoutée, d’être transparente, de ne pas exister aux yeux de sa mère a pu être relié à une séduction maternelle inadéquate. À une mère excitante et non contenante. Coupable, en la mettant au monde, d’avoir privé son père d’un garçon. Lui présentant ce père méprisable et violent. Une mère empêtrée dans la confusion des générations qui avait fait de sa fille la confidente de ses déboires sexuels. De fait, une mère plus femme que mère.
Le clivage entre le narcissisme et la maturation pulsionnelle, le déséquilibre entre les investissements narcissiques et les investissements libidinaux des deux imagos parentales venaient faire barrage à l’identification au masculin et au féminin de la petite fille qu’avait été cette jeune femme. Trop excitant, l’objet mère la maintenait dans une relation soumise à sa toute puissance. En rendait compte, la haine qu’elle lui vouait.
C’est au décours de ses associations et leur élaboration que la menace proférée au début de notre rencontre prit son sens.
- Du conflit entre le désir de se détourner du lien premier et celui de le retrouver.
- De son besoin impérieux d’être reconnue dans sa totalité de femme et de trouver un espace pour se rêver.
Dans le cas d’un lien NON ÉROTISÉ, voici ce qu’écrit Nathalie Rheims dans son livre « Laisser les cendres s’envoler » paru en 2012 (Ed, Léo Scheer, son mari):
- « J’ai perdu ma mère. Elle a disparu il y a plus de dix ans. Ma mère est morte, je le sais. Mais, lorsque j’y pense, je ne ressens aucun chagrin, pas la moindre émotion. Tout reste plat comme une mer gelée, pas un seul petit frémissement à la surface de l’eau. Quand je pense à elle, il ne se passe rien ».
« Le rien de cette relation est devenu chez moi aussi profond que l’absence de désir d’enfant. Impossible de m’imaginer donnant la vie. À sa façon, ma mère s’est enfuie avec la mienne, me laissant sans réponse face au froid qui s’installe à sa seule pensée »
FéMININ – MASCULIN ET FÉMININ - FÉMINITÉ : UNE NÉCESSAIRE DISTINCTION
Le couple masculin-féminin Freud le signifie au stade génital, au moment de la puberté quand il situe la différence des sexes. Autrement dit quand les premiers rapports sexuels peuvent se réaliser. S’il en est ainsi, faut-il comprendre l’accès au masculin et au féminin par les seules données biologiques ? Evidemment non. Mais, selon Freud, c’est en ce temps tardif que le féminin se distingue du masculin.
Or, si on admet que l’investissement narcissique sexué s’effectue, ainsi que je le soutiens, avant la naissance par les deux parents, qu’il est inégal pour la fille et le garçon, on pourra avancer dans l’idée que c’est avec ce premier investissement que le féminin et le masculin maternels entrent en une subtile dialectique avec le bébé dès leurs toutes premières relations. Et que c’est en étayage sur cette première matrice qu’il traversera tous les stades de son développement.
Le féminin qui nous importe ici serait donc un processus qui commence dès la première rencontre mère fille, relié de facto à l’investissement anté natal. Il est une construction psychique, invisible pourrait-on dire, qui se poursuit toute la vie. Ses caractéristiques prendront la forme de la féminité qui, elle, se donne à voir. Discrète et harmonieuse elle le parfait. Bruyante, grinçante à l’allure phallique, elle constitue une défense. Contre la castration, l’angoisse du féminin.
Quant à la libido que Freud soutient être masculine, n’est-elle pas le substrat de la pulsion sexuelle comme lui-même le dit et qu’il définit par une force, une poussée constante ? Le terme allemand Trieb signifie poussée. (1915, Pulsions et destin des pulsions). Poussée constante qui ne pouvant être totalement satisfaite réitère le désir qui spécifie l’humain.
Y aurait-il un substrat féminin et un substrat masculin de la pulsion ? Si c’est le cas peut-on les distinguer ?
Mais comme la sexualité humaine est une psychosexualité où le féminin et le masculin s’opposent ou s’intriquent, constituant la bisexualité psychique, l’analyste aura à interroger le féminin, et tout aussi bien le masculin, en termes d’investissements narcissiques et en termes d’identifications.
LE PLAISIR D’ÊTRE FEMME ET L’homosexualité primaire
L’abandon par Freud lui-même de l’identification primaire avec le père de la préhistoire pour celle avec les deux parents a permis des ouvertures nouvelles vers l’instauration de l’identité sexuelle de la fille et du garçon. La notion d’homosexualité primaire dont Freud ne parle qu’une fois dans toute son œuvre me paraît à ce titre essentielle. Car cette expérience, considérée par Evelyne Kenstemberg comme le deuxième temps et l’aboutissement de l’identification primaire et par Annette Fréjaville comme le moment fondateur de l’identité sexuelle marque un changement de nature dans la relation mère enfant.
Après la fusion du contenu et du contenant, l’indistinction des affects de la vie fœtale, c’est dans les bras d’une mère suffisamment bonne que le bébé partagera une relation de plaisir réciproque. Durant ce temps de jouissance commune il pourra s’éprouver tantôt objet auto-érotique tantôt « partenaire amoureux » (E. Kenstemberg). Dans son rapport à l’autre identique prévaudra la part auto-érotique tandis qu’à l’autre semblable mais différent, ce sera l’investissement libidinal qui primera. C’est alors que dans son économie psychique un changement interviendra. L’alternance de l’identique et de l’altérité permettra l’accès à un début de travail du deuil de l’objet, l’inhibition de la pulsion quant au but établira la relation de tendresse, par la distinction du courant tendre et du courant hostile. Cette alternance dans l’économie psychique fera émerger l’éprouvé de tendresse.
Force est de constater qu’il est, le plus souvent, méconnu par les femmes qui se trouvent sur nos divans.
L’homosexualité primaire est donc envisagée comme un tournant dans la vie psychique et comme assise structurante des identifications secondaires et de l’organisation du moi. L’identification au même, donne la possibilité de se projeter sur le double narcissique garant de l’identité sexuée tandis que l’identification au différent permet d’accéder à la potentialité du masculin et du féminin.
La fille, pour s’identifier à la mère qui est l’objet d’amour du père, et au père qui aime la mère, devra être assurée d’un double investissement narcissique : de la reconnaissance sexuée et par la mère et par le père et que, tous deux, s’en réjouissent réciproquement.
Cette double identification donnera à sa sexualité une nouvelle assise et un sens différent :
- L’identification au corps féminin de la mère désiré par le père ne sera plus celle d’un corps châtré, mais celle d’un corps qui accueille et qui contient.
- L’identification phallique au père permettra, elle, de surmonter l’angoisse de castration.
Ainsi, la fille pourra continuer à s’identifier à sa mère qu’elle sait douée de grands pouvoirs : elle fait les bébés et c’est elle qui l’a portée. Il lui reste, cependant, à apprendre qu’elle l’a faite grâce à la séduction qu’elle a su exercer sur son père et, qu’elle y est parvenue par la réalité de sa castration. C’est alors, qu’elle pourra se réjouir d’être une femme comme sa mère et fière du double pouvoir de séduire un homme et, par sa castration même, porter des bébés.
Est-ce pour nous surprendre que Niki de Saint Phalle symbolise dans ses sculptures le couple parental par des formes clownesques ? Une petite tête dans un corps aux formes extravagantes pour la mère et un homme deux fois plus petit qu’elle pour le père, lui tenant la main ?
Vous le savez, Niki de Saint Phalle a été abandonnée très tôt par sa mère à ses grands-parents et abusée violée par son père, à l’âge de onze ans.
Quant au garçon, il pourra s’identifier à son père en tant qu’objet primaire au sens d’homosexualité primaire, objet de fascination détenteur d’un pouvoir narcissique phallique dans la mesure où la mère le lui reconnaît.
Est-ce un hasard si Léonard (de Vinci) qui, selon les auteurs, aurait fait de la prison pour homosexualité, nous présente dans son sublime « Sainte Anne » une famille sans père ?
Cette description quelque peu théorique permet de saisir la valeur structurante de cette expérience d’homosexualité primaire. Spécifiquement pour la fille dont la similarité de sexe met la mère en difficultés pour un comportement souple d’amante et de mère à la fois.
Si donc le féminin et le masculin sont les deux termes d’une différence en construction comme j’espère l’avoir démontré, le féminin se distingue du masculin par son double destin. De féminin érotique et de féminin maternel.
LE DOUBLE DESTIN DU FEMININ : FEMININ ÉROTIQUE ET FEMININ MATERNEL
Liliane Abensour soutient qu’une mère, cela n’existe pas. Elle préfère le terme d’objet à celui de mère car, dit-elle, l’objet étant au delà du maternel, il évite bien des difficultés. Si cette approche différentielle semble intéressante pour l’analyse du transfert et du contre transfert, il me semble que pour notre propos, nous ne pouvons faire l’impasse sur le lien du maternel avec le pulsionnel. Car, quand bien même le comportement maternel se traduit en tendresse étayée sur des qualités pare-excitantes et des capacités de rêverie, les fantasmes de la mère sur le corps sexué de son bébé auront partie liée avec son investissement libidinal et ses propres théories sexuelles. Est-il pensable, en effet, que toutes les transformations corporelles de la petite fille devenue femme et mère n‘ait pas d’incidences sur sa psycho sexualité et sur ce qu’elle transmet ?
Ce qui complexifie les mouvements identificatoires de la fille c’est l’identité de sexe avec sa mère, ainsi que je viens de le dire, et que ce sexe est le lieu d’un double impur.
« L’Origine du Monde » de Courbet est explicite : il est à la fois lieu d’origine (du monde) et lieu de jouissance. Un seul et même lieu pour jouir et engendrer voilà le scandale !
Nous avons là, la source de la l’angoisse de pénétration et du fantasme incestueux. Fantasme explicité par J. Schaeffer du fait « Que la mère puisse jouir avec son amant dans le même lieu où elle a joui avec son enfant, et que ce sexe soit semblable à celui de sa petite fille ». (De mère à fille : l’antagonisme entre maternel et féminin)
Fantasme qui, dans un retournement en son contraire a donné naissance, si j’ose dire, dans la religion chrétienne à une mère « Vierge conçue sans péché ». Qu’elle soit magnifiée et adorée par plus de 3 milliards d’hommes et de femmes de par le monde ne saurait étonner.
Si donc, l’organe sexuel féminin a la potentialité de jouir et de procréer tout à la fois, ne faudrait-il pas faire une distinction entre la femme et la mère, entre la mère et le comportement maternel?
Il me semble que c’est dans ce sens que M. Fain et Denise Braunschweig et à leur suite F. Guignard et J. Schaeffer insistent sur la nécessité dans le comportement maternel de refouler la pulsion sexuelle qu’ils appellent par le terme heuristique de « censure de l’amante » ou mieux encore de « bascule » : un mouvement d’oscillation et non de clivage.
Un comportement de mère basculant avec souplesse entre des mouvements sexuels d’amante et des mouvements de tendresse maternelle renvoie explicitement aux processus secondaires, à la liaison de la pulsion et à son intégration dans le narcissisme. C’est dire qu’être mère le jour et amante la nuit est une acquisition et non une donnée. Un processus par lequel la fille devenant femme accepte son féminin dans sa plénitude et se réjouit de sa fonction de mère. Une organisation psychique donc, suffisamment souple qui alterne entre la tendresse et l’érotique entre l’amante et la mère. Une mère à même d’avoir un comportement maternel sans le fantasme incestueux.
Aussi, si la transmission se passe de mère à fille comme je le pense c’est, équipée des fantasmes générationnels préœdipiens et œdipiens plus ou moins élaborés, que, l’économie psychique maternelle entrera en interaction avec celle de sa fille. Une mère, encore fixée à ses liens précoces maternels, au féminin non intégré à son narcissisme, toujours déçue de son manque phallique, fonctionnant en clivage de l’érotique et de la tendresse, qui pose sa fille en rivale, pourrait-elle, et comment, être une messagère de l’attente amoureuse ? Car la fille attend l’accomplissement de son féminin par son Prince charmant. (J. Schaeffer, « La Belle au Bois dormant »).
La fille en effet passe sa vie pourrait-on dire à attendre. Elle attend la poussée de ses seins, la venue de ses règles, la jouissance amoureuse… Elle attend de porter en elle des bébés et les mettre au monde.
Et si de nos jours les pères participent au « maternage » du bébé, ce qui lui permet d’établir un début de différentiation entre les deux parents, le lien à l’objet mère reste spécifique en ce qu’il est la continuité de l’investissement premier et que l’idéalisation narcissique le constitue. Lien à jamais perdu et sans cesse cherché. Je dis bien lien et pas objet.
Ce qui me paraît essentiel, dans la mise en œuvre d’un processus féminin projeté vers le futur et d’un maternel harmonieux, c’est la régulation de l’érotique et de la tendresse dans le comportement maternel.
Une mère suffisamment bonne est messagère de l’attente, dit J. Schaeffer. Elle le sera, selon moi, si elle est aussi, suffisamment séductrice.
S’il en existe, ce ne sont pas les filles de celle-ci qui se trouvent sur nos divans.
Ce qui apparaît chez celles qui nous occupent, ce sont les avatars consécutifs à la relation primordiale préverbale de chaque histoire :
- L’absence de tendresse est le manque le plus partagé entre la fille et le garçon : La tendresse ? Je ne sais pas ce que c’est, répondent-ils à mes propositions.
- Le besoin d’être reconnue dans sa totalité est le plus représentatif de la fille. Il est d’autant impérieux que la réalité du corps maternel sexué reste un savoir refoulé et par la mère et par la fille.
- Le silence maternel sur son corps sexué est la source d’un refoulement, de la dénégation du vagin et non sa méconnaissance comme Freud le dit.
Un autre rejeton de l’inconscient maternel transmis à sa fille est celui d’un féminin marqué par la soumission et UN SENTIMENT LATENT d’infériorité vis-à-vis des garçons. Ainsi,
- Sylvaine mère de deux filles comme sa mère, a choisi un deuxième mari représentant de son manque phallique idéalisé. Sa plainte réitérée est celle d’être méprisée, non considérée, pas aimée. Dans sa famille dit-elle, les femmes ne parlent pas, n’ont pas le droit à la parole. Et c’est lorsque l’analyse mit au jour une culpabilité liée à la place qu’elle occupe dans la triangulation œdipienne où la femme-mère est soumise à un père violent, qu’un travail de différenciation et de séparation avec l’objet mère a pu commencer.
* * *
Penser le féminin, l’appréhender dans son double destin érotique et maternel a été un travail interactif de toute l’équipe. Le mien passe par l’analyste femme que je suis. Par mes expériences et mes théories féminines. Et si Freud a construit son « monisme phallique » à l’aune de son inconscient, je considère que c’est la traversée psychique de l’histoire intime de soi-même et son élaboration continue qui conduit à savoir se taire, écouter et entendre pour interpréter.
Et même, si dans sa fonction d’analyste la femme reste femme elle n’est certes pas l’analogon d’une mère suffisamment bonne.
Recourir au tiers, au père séparateur est le garant de la dynamique du processus analytique. Le but étant, selon moi, de lier les antagonismes pulsionnels en plus d’aimer et de travailler.
La question reste celle-ci : Une mère peut-elle être suffisamment bonne sans être suffisamment séductrice ?
Marie-Thérèse MALTESE-MILCENT
29 novembre 2014
Résumé :
Contrairement au garçon, la fille est marquée par le même sexe que sa mère. Cette identité de sexe et la nature narcissique de l’investissement maternel et paternel ont des conséquences psycho-sexuelles sur son devenir de femme et, de mère quand elle le devient. Elles suscitent des interrogations, ouvrent des chemins pour penser la transmission du féminin et le maternel autrement.
Plusieurs questions sont abordées dont deux essentielles :
- Y aurait-il un narcissisme du lien à différencier de celui de l’objet ?
- Une mère peut-elle être suffisamment bonne sans être suffisamment séductrice ?
Bibliographie :
- S. Freud, 1915, Trois essais sur la théorie sexuelle, Gallimard, Paris.
-1931, La vie sexuelle, PUF, Paris.
-1933, La féminité, in Nouvelles Conférences, Gallimard, Paris.
- F. Guignard, Mère et fille, In Press, Paris.
- D. Guyomard, L’effet-Mère, PB de P, PUF, Paris. J. Laplanche, Vers la théorie de la séduction généralisée, PUF, Paris.
- J. Schaeffer, - De mère à fille : L’antagonisme entre maternel et féminin, in Press, Paris, 2002.
- La Belle au bois dormant, Comment le féminin vient aux filles ? in Le refus du féminin, PUF, Paris, 1997.
accès au texte entier - format PDF et imprimable