Interlignes
Lorient, le 18 février 2017
Un hommage au psychanalyste Salomon Resnik
La nouvelle du décès de Salomon Resnik, le 16 février dernier, m’a profondément peinée et ce, d’autant plus qu’elle vient s’inscrire dans la liste des disparitions récentes de nombreuses figures marquantes de la psychanalyse groupale ; ami(e)s et collègues auxquels je dois énormément, qui ont tous eu le bonheur de côtoyer Salomon Resnik et auxquels je rends présentement, également hommage : Jacqueline Falguière, Jean-Marie Enjalbert, Jean-Claude Rouchy, Jacques Schiavinatto, Ophélia Avron, André Missenard …
Psychiatre argentin et psychanalyste membre titulaire de L’Association psychanalytique Internationale, Salomon Resnik a grandi auprès d’Enrique Pichon-Rivière avant de poursuivre à Paris puis à Londres, une trajectoire vigoureusement personnelle qui l’a amené à s’enrichir de la pensée de nos plus grands penseurs et théoriciens de la psychanalyse : M. Klein, W. Bion, D. Winnicott, H. Rosenfeld et E.Bick …
A Paris, où il a exercé la psychanalyse, il fut membre de la Société Française de Psychothérapie Psychanalytique de Groupe (SFPPG) et en fut également le président de 1990 à 1994.
J’ai eu l’immense privilège de côtoyer ce grand homme, d’être destinataire de sa bonté et de cette attention à l’autre qui le caractérisait. N’ayant jamais aimé suivre les sentiers battus, son activité s’exerçait aussi dans des champs en lisière de la psychanalyse. On voit ainsi se dessiner un parcours où les chemins vicinaux étaient pour lui beaucoup plus attrayants que les voies toutes tracées des sociétés de psychanalyse et, je crois que partout où il se trouvait, il incarnait cette étonnante vitalité intellectuelle et émotionnelle qui produisait des effets étrangement contagieux : car il était aussi homme à aimer le langage simple et direct, celui qui traduit au plus près ce que les hommes vivent et ressentent.
Salomon Resnik, certes, nous laisse une œuvre théorique magistrale qui aborde des champs très diversifiés de la psychanalyse groupale comme étrange chimie collective et inconsciente, de la psychose de l’adulte, de l’autisme infantile, de l’archaïque maternel, du narcissisme destructeur ainsi que ses essais sur l’art et bien d’autres encore … mais demeurait, avant tout, un clinicien dans l’âme qui s’attachait à saisir dans leur immédiateté et singularité les processus intra et interpsychiques.
En ce qui concerne son activité d’écriture, elle fut foisonnante par de nombreux articles dans des revues allant de la Revue de psychothérapie psychanalytique de Groupe (RPPG) jusqu’au journal de la psychanalyse de l’enfant en passant bien sûr par Le Coq-Héron et Connexions.
Lors du congrès de 2005 organisé par La SFPPG et la FAPAG, Salomon Resnik a abordé et séduit son auditoire par cette parole toute personnelle dont je me fais aujourd’hui, auprès de vous, porte-parole : « le monde invisible n’est pas constitué seulement de ce qui ne se laisse pas voir, mais aussi de tout ce qui n’est pas mis en relief dans le domaine du visible : quand la chose cachée à la lumière de la conscience acquiert une forme et se met en évidence, la réaction est celle de l’étonnement. En psychanalyse, quand on reçoit une observation interprétative de ce que l’on ne voit pas chez soi ou dans la vie quotidienne, la réaction est toujours : comment ne l’ai-je pas vu avant si c’était en face de moi ? Pourquoi cet aveuglement ? ». « Qui n’a pas vécu l’expérience de se promener au marché suivant le même itinéraire, durant des années, et d’être étonné un jour de trouver une plaque dans la rue Bonaparte à Paris : “ Ici habitait Édouard Manet, par exemple, comme ça a été mon cas “. Et de se demander : “Quand est-ce qu’on a mis cette plaque ici ? “. Et de s’entendre répondre : “Mais elle y est depuis toujours ! “. Comment ai-je pu ignorer un voisin si important ? Cette plaque avait toujours été là. En marchant avec ma femme dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés, on a trouvé un jour une plaque disant : “ Ici a habité d’Artagnan “. Comment est-il possible que le héros gascon de mon adolescence soit si près de moi, ou en tout cas près de mon studio rue Bonaparte ? »
Salomon Resnik, ce même jour de septembre 2005, vous me glissiez à l’oreille à l’issue de votre conférence : “ Comme le fou qui regarde le doigt alors que le sage lui montre la lune “, notre société nous demande de regarder le doigt alors que derrière le doigt (les méthodes objectivantes), il y a une tout autre visibilité, la visibilité de l’inconscient.
Salomon, je vous rends hommage.
Catherine Even-Le Berre
A Chacun sa Vérité
La notion de vérité alternative qui fait florès actuellement a donné une nouvelle actualité au roman d’Orwell 1984, redevenu best-seller aux États-Unis. Le commentaire éclairant de Pierà Aulagnier sur cette œuvre mérite également lecture (1). Le 17 août 1914, on pouvait lire ces lignes dans le journal L’Intransigeant (2) : " Quant aux balles allemandes, elles ne sont pas dangereuses. Elles traversent les chairs sans faire aucune déchirure ".
La psychanalyse est née le jour de la lettre écrite par Freud à W. Fliess, lettre dans laquelle il place la réalité externe au second plan derrière la réalité psychique. Faut-il en conclure, comme le prétendent les détracteurs de la pensée freudienne, que celle-ci utilise la formule pirandellienne au profit d’un grand n’importe quoi ? La réponse est non, évidemment. La répétition de l’acte manqué, par exemple, inscrit la psychanalyse dans le domaine de la preuve. Freud était (aussi) un grand lecteur d’Agatha Christie ! (3).
Confrontés comme tout le monde à une nouvelle offensive de l’insignifiance (4) et de déni omnipotent (5) qu’ils observent dans les médias et ne connaissent que trop chez leurs analysants, les psychanalystes ont des choses à dire sur ce phénomène, et pourraient en faire un nouveau débat scientifique, d’ailleurs déjà amorcé. Comme l’indiquent Bion (6) et J. Steiner (7), le thème central du drame de Sophocle est le conflit entre Œdipe et Tirésias, c’est-à-dire la haine de la vérité, un Watergate en quelque sorte dans lequel Œdipe fait semblant de vouloir mener l’investigation.
Contrairement à ce qui est souvent dit ou écrit, le Quatrième Groupe ne s’est pas constitué en contradiction, voire en vérité alternative, vis-à-vis des modèles de formation ipéistes ou lacaniens mais à côté de ceux-ci, dans une démarche asymptotique de recherche de la vérité. Mais quelle vérité, sinon celle du désir de devenir-être analyste ? C'est-à-dire investigateur dans un monde tendant à devenir orwellien, en refusant ses contre-vérités.
Francis Drossart - Février 2017
1) Aulagnier P. (1984), Le pire des mondes, in L’Apprenti-Historien et le Maître Sorcier, du Discours Identifiant au Discours Délirant, Paris, PUF, coll. Le Fil Rouge
2) Cité par : L’Obs, 2 février 2017
3) Mijolla-Mellor (de) S. (2007), Un divan pour Agatha Christie, L’Esprit du Temps
4) Herlem P., L'offensive de l'insignifiance in Le Coq-Héron n° 192, 2008/1, Erès, 2008
5) Drossart F., (2014), Le déni omnipotent, Topique n°127, La pensée kleinienne
6) Bion W.R. (1967) Réflexion faite, trad.fr. Paris, PUF, 1983, Bibliothèque de Psychanalyse
7) Steiner J., Turning a blind eye, The cover-up for oedipus
Dans le cadre des Etudes Cliniques Rennaises
27 juin 2015
Quelques réflexions autour du livre de Ghyslain Lévy
Le don de l'ombre, Paris, Editions CampagnePremière, 2015
La netteté avec laquelle certains souvenirs d’enfance surgissent dans la mémoire à certains moments de la vie, présente, nous dit Freud, une analogie – en tant que souvenirs-écrans chargés d’émois refoulés – analogie donc, avec les souvenirs d’enfance des peuples, tels qu’ils sont figurés dans les mythes et les légendes. De même que dans sa lettre du 3 janvier 1899, il écrira à Fliess :
« un petit fragment d’autoanalyse a fini par s’imposer et m’a confirmé que les fantaisies (fantasmes) sont les produits d’époques ultérieures qui se sont rétroprojectés depuis le présent d’alors jusque dans la première enfance ; et ce qui est apparu aussi, c’est la manière dont cela se passe : encore une fois une liaison de mots. »
Car c’est bien cette parole de Freud accompagnée d’un souvenir d’enfance personnel qui se sont pour moi, imposée, en rencontrant pour la première fois ton « Don de l’ombre », Ghyslain, puis en parcourant les premières pages de ton dernier ouvrage.
Je me suis revue petite fille de 6 ans, emmenée un soir par mon père qui « aimait les grands aventuriers » à une conférence de ma ville natale de Rennes (pas bien loin d’ici, d’ailleurs). Celui qu’il voulait me faire écouter, était alors un éminent historien qui venait relater les explorations au pôle Sud, les traversées périlleuses du Commandant Jean Charcot, à bord de son navire surnommé le « Pourquoi pas ? ».
Je revois sur la scène de l’époque un homme barbu que je jugeais très âgé mais aussi particulièrement captivant et qui nous montrait sur un écran des images du bateau de Jean Charcot ; un équipage joyeux, se frayant un chemin au milieu des glaces. Dynamisme, pétillance, humour ; ce conférencier émaillait son récit d’anecdotes dont l’une resta gravée dans ma mémoire.
Avant d’aborder avec ses hommes une île inconnue, et qui allait, par la suite, porter le nom de Jean Charcot, l’île Jean Charcot, ce dernier avait préparé une formule vibrante et significative pour en marquer la possession au nom de la France. Or, sautant de la chaloupe, son pied glissa et c’est par un « merde » retentissant qu’il salua son arrivée sur l’île.
La narration de cet acte manqué par mon conférencier de l’époque, associé au naufrage « du pourquoi pas » qui sombra en 1936 avec son commandant, me frappa profondément à cet âge.
Était-ce la trace de cette rencontre avec héroïsme et castration conjugués, l’audace et la mort associée, est-ce l’émoi œdipien d’avoir partagé avec mon père l’admiration pour une figure d’idéal du moi ? Est-ce tout ceci … bien sûr et encore bien d’autres ombres mouvantes en moi … qui détermina mon intérêt, une certaine vocation quand je rencontrai, bien plus tard, le nom de Jean Martin Charcot, le père du navigateur, lorsque jeune stagiaire « débarquant moi-même » à l’Hôpital Charcot dans le Morbihan dans une équipe de psychodramatistes dirigée par un commandant aussi barbu et dynamique que celui de mon enfance et dont je pus apprécier par la suite, l’audace, l’humour et l’ouverture d’esprit.
Mais également, quelle descendance, spirituelle et charnelle et il importe d’ajouter charnelle puisque comme le souligne René Péran, la langue est symboligène, seulement et seulement si l’on respecte ses ramifications, toutes ses ramifications avec le monde sensible et le corps. Donc, quelle descendance spirituelle et charnelle eut cet homme dont l’influence suscita la passion de Freud pour l’exploration de la « face cachée de l’iceberg dans la langue pulsionnelle du perdu » dans les profondeurs inconscientes de la psyché humaine, quand on sait qu’entre 1885 et 1888, Freud, à l’hôpital de la Salpêtrière, dans le service de Jean Martin Charcot, a effectué un séjour absolument déterminant pour la suite de son œuvre et donc pour la naissance de la psychanalyse. En effet, arrivé à Paris pour y étudier l’anatomopathologie, il y a trouvé, comme nous le savons, une toute autre chose avec : la révélation de l’hystérie et un mois après son arrivée à Paris, il écrivait à Martha Bernays, sa fiancée :
« Charcot qui est l’un des plus grands médecins et dont l’aura et la raison confine au génie, est tout simplement en train de démolir mes conceptions et mes desseins. Il m’arrive de sortir de ses cours comme si je sortais de Notre-Dame, tout plein de nouvelles idées sur la perfection. La graine produira-t-elle son fruit ? Je l’ignore mais ce que je sais, c’est qu’aucun autre homme n’a jamais eu autant d’influence sur moi ».
Je souhaitais par cette introduction, cette descente, ce retour vers l’enfance (mon enfance, l’enfance du jeune Sigismund à Freiberg avec – la prairie verte aux fleurs jaunes - le fantasme de défloration de pauline/Gisela/la mystérieuse Ichtyosaura (trois figures conjuguées) , l’enfance de Freud à la Salpêtrière, l’enfance de la psychanalyse), je souhaitais inviter à notre après-midi de travail ce jeu de l’ombre - Alors, qu’il vienne, ce jeu de l’ombre, bruisser sur fond œdipien ou davantage du côté des profondeurs archaïques, abyssales de l’âme humaine - Mais peu importe finalement car assurément toujours un peu les deux à la fois) …. Je souhaitais inviter, ce jeu de l’ombre, jeu de l’intime, jeu de l’invisible, de l’impalpable ou du à peine palpable, de l’opacité, de l’énigme, de l’insaisissable, et sans doute aussi convoquer le gouffre de notre subjectivité humaine avec sa pleine ambiguïté puisque ton écrit, Ghyslain, ne cesse de le porter, de le conjuguer dans l’opposition bien sûr « au règne de la clarté crue, au règne de la tyrannie d’une langue technique résolument convaincue à mesurer, quantifier, évaluer, massifier et pourquoi ne pas ajouter « dépecer » et qui façonne nos institutions, les cultures, les groupes en un seul et même langage (les sigles en sont un des modes d’expression paradigmatique) dont le sens n’est plus ambigu mais réduit à un signifié.
Nos structures de l’ensemble culturel rencontrent les crises et les faillites d’un social qui ne cesse de s’actualiser dans un présent immédiat au gré du repoussement de ses limites. Alors, peut-il y avoir des sociétés pathologiques ? Et quels seront leurs effets sur la psyché ? Cette question fut très présente dans les travaux de Piera Aulagnier.
Et puis, à notre époque, alors que la psychanalyse subit tellement d’attaques, étouffée dans nos institutions de soin et dans nombreux autres lieux de notre société où s’impose désormais le désir d’hégémonie de la psychologie cognitivo-comportementaliste, n’est-il pas essentiel voir urgent de montrer la fécondité de l’approche analytique et de la théorie analytique, qui reste bien souvent les seules aptes à «côtoyer » ce que tu nommes si justement « les situations cliniques de l’extrême ».
Alors,
Il y a bien certainement de nombreuses manières de connaître l’œuvre d’un auteur psychanalytique. Il est possible de lire ses livres, d’assister à ses conférences ou encore de s’inscrire avec lui, dans un travail de supervision (appelé analyse quatrième au quatrième groupe).
En fait, nous rencontrons tout de même assez généralement la plupart des auteurs par des voies finalement assez traditionnelles. Or, si cela nous permet un contact raisonnable, dirais-je, avec leur pensée, beaucoup trop de questions subsistent qui ne peuvent finalement être approchées que grâce à un dialogue direct et vivant en discutant avec lui de ses idées, de ses travaux, de sa clinique psychanalytique, voire de ses expériences de vie.
Et c’est en quelque sorte la prétention de notre après-midi.
Tous les analystes qui, à l’instar de Ghyslain Lévy, se soucient du développement de la psychanalyse, de son évolution et de ses efforts à mieux comprendre les cas non névrotiques d’aujourd’hui (différents, bien sûr, de ceux du temps de Freud) incitent à une meilleure compréhension de ses patients dits limites tout comme de la culture de notre époque dans ses multiples expressions. Mais, toi Ghyslain, tu nous convoques sans détour et nous confronte aux flux et reflux de nos tumultueux éprouvés par, la singularité de ton style et sa puissante originalité, entre cette contre-culture de la transparence, cette contre-culture du dévoilement que tu exaltes et ce terrible face à face avec une société contemporaine, la nôtre, effaceuse de nos traces individuelles et collectives, qui tend inéluctablement à abraser la puissance d’énigme de nos mots, voir à dérober « son étrangeté à la langue, une étrangeté qui habite le cœur même de la langue – une étrangeté, qui renvoie à la résonance du mot, de la phrase, » et tout ceci au profit d’une « langue communicante » avec ses multiples techniques qui se développent aujourd’hui autour de la question de la communication en brandissant les nouveaux mots sans aura, mots sans échos, mutilés car sans résonance, englués dans leur massivité muette et sclérosante de certitude et qui ont, sans nul doute, un peu oublié, comme le dit Walter Benjamin , " le bouche à oreilles " pour privilégier " l'outil de la technologie moderne", le net et son écrit virtuel, l’addiction par l’image, le bon usage protocolaire, le savoir-faire etc..
Juste encore pour écouter, Ghyslain, ce que tu dis si bien avec Walter Benjamin.
" C'est à l'absence de toute précession d'un désir ou d'un rêve collectif que correspond un tel aplatissement de la Culture réduite à fabriquer sans cesse autour d'elle une réalité qui s'appauvrit ....
L'appauvrissement de la réalité en expériences va de pair avec la perte de son aura, avec l'excessive visibilité qu'autorise la transparence de l'objet, et avec une langue elle-même aplatie, appauvrie, par laquelle le sujet communique, mais dans laquelle il ne se communique pas."
Je pense également à cette parole si profonde et tellement humaine d’une de tes patientes au cours d’une séance : « j’ai besoin d’un avenir qui me précède ».
Voilà, tu nous transportes en maniant poésie et incisivité au creux de cette nouvelle barbarie contemporaine qui règne en maître, je crois, en offrant au sujet dans une immédiateté dénudée de tout après-coup, dans l’écrin flamboyant d’une scandaleuse mais séduisante luminescence (émettre de la lumière sous l’effet d’une excitation), une répétition compulsive de notre toute puissance infantile sur écran de nos fantasmes originaires sollicités en continu dans les formes les plus régressées de leur expression : fantasme de séduction de l’enfant par l’adulte (l’éblouissement, l’excitation par l’image et la couleur, l’écran), fantasme de la scène primitive et la saisie sans reste par l’œil cru de la caméra, fantasme de retour au ventre maternelle et sa composante mélancolique paralysante ayant perdu toute force créatrice, fantasme de castration traquant et réduisant l’autre sujet , dans une volonté meurtrière d’emprise, « à une proie qui a perdu son ombre ». (Pour utiliser encore l’une de tes expressions, Ghyslain)
Une proie, donc sans ombre, à laquelle serait définitivement nié la "revenance" de la résonance permanente du perdu de l’infantile, du transgénérationnel et du kultur arbeit qui seuls témoignent et participent de l’humain partagé dans l’humain partageable avec une pensée, notre pensée à jamais vouée à convoquer l’absence.
"Ouvrir la langue à une autre langue à l’intérieur d’elle-même, creuser la langue, rendre toute la puissance de son étrangeté à la langue" (tes expressions, Ghyslain) et l’on a envie d’ajouter "raviver la présence du perdu sous toutes ses formes, dans toute sa force", c’est peut-être là, précisément que la psychanalyse, l’apport freudien, le dispositif analytique participe depuis son origine au travail de culture en ouvrant notre langue du quotidien à la langue de notre sexuel infantile inconscient puisque jusqu’au bout, l’œuvre Freudienne a fait référence et donné toute la place à la question de la trace.
Traversée dangereuse donc, périlleuse certes, l’expérience analytique (mais également toute expérience créatrice, me semble-t-il) témoignent également de ce Trans psychique qui est à l’œuvre du point de vue de ce que tu essaie de relever dans ton livre, de ce Trans psychique après que Freud ait pu dire en 1938, le 22 Aout 1938, un an avant sa mort, que « psyché est étendue, n’en sait rien» et dont voici le texte complet :
« Il se peut que la spatialité soit la projection de l’extension de l’appareil psychique. Vraisemblablement aucune autre dérivation. Au lieu des conditions a priori de l’appareil psychique selon Kant. La psyché est étendue, n’en sait rien. »
Psyché serait donc étendue dans tous les sens ; dans le sens de l’espace, dans le sens du temps et dans le sens également des autres espaces psychiques, et ne le saurait pas et c’est pour cette raison, que d’une certaine manière « ouvrir un espace transitionnel, ouvrir un livre et se livrer à l’expérience littéraire et de la langue poïétique, s’adonner à l’expérience d’écriture, s’ouvrir à une réalisation artistique, en être le réalisateur ou le contemplateur » c’est ouvrir un, des, espace(s) psychique(s) nouveaux, différents, un travail d’archéologue, pour reprendre une métaphore familière à Freud et si, Freud, n’a pas, à rigoureusement parler, découvert l’existence de l’inconscient (ainsi que le montre Yvon Brès dans son ouvrage L’inconscient, Ellipses, 2002), il en a toutefois le premier, formulé les lois de fonctionnement, les processus et les contenus. Il a bien, le premier, exhumé ces données sexuelles préhistoriques enfouies depuis toujours dans l’ombre de la psyché des hommes.
Et, ne crois-tu pas, Ghyslain, qu’il y a là quelque chose de puissamment extraordinaire dans la cure analytique que d’éprouver ces zones particulières où Freud n’hésite pas à dire qu’elles vont jusqu’aux mémoires collectives les plus profondes, les plus anciennes de l’humanité …. « La mémoire glacière de l’humanité », exprimera-t-il.
Alors maintenant, pour en venir à tes grands passeurs, que tu appelles également tes "grands cueilleurs de la langue" dont tu nous dis qu’ils ont d’une certaine manière fait œuvre de penser à la fois la question du désir d’exil et la question de la langue et qui viennent t’occuper dans ton écoute analytique en constituant «des ponts, des traverses, des encordées » pour venir accueillir la parole analysante et la redonner étrangère par le biais du dispositif analytique qui ne peut que, bien sûr, la « déranger, la mettre en flottement, la rendre à un ordre différent, la suspendre, la désorganiser, la désorienter, la creuser comme tu dis » pour lui permettre de ne plus être une triste parole communicante mais une parole dans laquelle le sujet est voué à se communiquer à l’infini, à se découvrir à l’infini.
Alors bien certainement et inévitablement, ceci vient poser la question du fonctionnement de notre écoute analytique en tant qu’elle constitue, elle aussi, un pont possible : « bricoler un pont au-dessus-de l’abîme pour passer, comme tu le dis « passer de nulle part à ailleurs, à quelque part, peut-être …» - Ceci vient poser la question de notre manière toute singulière d’être « passeur » à notre tour et de la façon dont chaque analyste pourrait en témoigner pour lui-même dans le cadre de la cure.
Comment soutenir l’autre dans son altérité face à cet abîme qu’il doit nécessairement franchir ? Comment soutenir l’autre dans son franchissement vers un ailleurs de lui-même ? C’est cette image, cette métaphore extraordinaire que tu nous proposes avec la nouvelle de Franz Kafka « le pont de bois » où l’homme, le visage tourné vers et affrontant l’abîme fait de son corps un pont tendu d’une rive à l’autre pour permettre à d’autres... de le franchir, en aveugle, pour aller de nulle part à ailleurs.
Mais encore :
Qu’est-ce qui fait que l’on s’engage dans un projet analytique, avec l’autre, dans une position certes asymétrique mais tout de même dans un co-engagement vers une co-construction? Qu’est-ce qui fait qu’avec ce patient-là, l’on accepte de s’exposer encore et encore et de soutenir ce face à face avec l’abîme de l’analysant mais également, une nouvelle fois recommencée, avec son propre abîme ?
Donc, tout un flot de questions que ton travail suscite et pour n’en mettre là que quelques-unes en lumière !
Je pense encore à cette expression de Nietzsche :
« Avez-vous du courage, du cœur …. Un courage d’ermite et d’aigle ? Celui qui voit l’abîme, mais avec des yeux d’aigle, celui qui saisit l’abîme avec des serres d’aigle : celui-là a du courage. »
Et je pense évidemment à Paul Celan (qui nous a beaucoup occupés dans notre Groupe de travail) et sur sa façon singulière d’écrire ses poèmes dans sa langue d’origine mais aussi dans celle qui est devenue la langue des assassins et de la faire bégayer, bégayer par la force de sa poétique pour la rendre à son chemin humain en la creusant, la démantelant , la disloquant de l’intérieur toujours plus avant emporté par une expiration sans fin qui ne trouve plus d’inspiration, pour tenter, certainement, de la rendre à la souplesse de son intime étrangeté et à cet énigmatique au cœur même de la langue. Paul Celan semble creuser dans l’emprise de cet enfermement linguistique de l’assassin, dans ce collage assassin, avec le trouble du rythme d’inspiration qu’il ordonne, telle une partition musicale sans pause ni silence, toujours plus profond, toujours plus en creux, en route vers un ailleurs de la langue, un dehors de la langue des assassins …. Telle une quête exténuée pour gagner une rive, poser le pied et enfin pouvoir inspirer … telle une quête à rebours, une sorte de traduction à rebours (car souvenons-nous, la psyché est fondamentalement traductrice ou métabolisante, nous le savons) et comme si dans ce mouvement de traduction à rebours s’infléchissait complètement la question du tiers, de la tiercéïté ….
Je pense également, peut-être ? Pour Paul Celan plongé dans cette problématique de survie, à l’urgence de retrouvailles du côté du langage fondamental (tel que l’a théorisé Piera Aulagnier), le plus loin possible du côté de l’intime perdu avec toute la richesse d’un poly sensoriel drainé par ce dialogue intime mère enfant qui seul viendrait permettre un décollement d’avec la langue des assassins pour accéder à un « au-delà » du trauma.
Pour Paul Celan, la littérature et l’écriture n’ont vraisemblablement pas suffi ; il n’est sans doute pas parvenu sur une autre rive ; vraisemblablement, n’y a-t-il pas eu de passeur pour Paul Celan, puisqu’il s’est jeté du pont … Peut-être a-t-il manqué d’un passeur psychanalyste ?
Peut-être ?
Et pour aller un petit peu plus avant, voilà comment nous nous sommes autorisés (toujours dans notre groupe de travail) à faire lien avec le passeur que tu as été, dans ta clinique, Ghyslain, pour Yasmine, ta jeune patiente.
Pour Yasmine, donc, dans son silence murée où se reproduisait dans la séance un enfermement sous un interdit de penser, sous l’ interdit de paroles d’un enfermement incestuel avec ce père de famille qui avait organisé un huit clos familial où nul n’avait le droit de communiquer à l’extérieur, ne peut-on pas penser qu’il puisse s’agir d’une expiration également silencieuse qui ne trouvait plus d’inspiration ?
Tu seras, dans un premier temps, également inondé dans son silence qui t’aspire, jusqu’au moment où tu vas rencontrer, par l’appel du Kultur arbeit, par la réminiscence d’un film qui insiste, en toi, l’analyste, un autre passeur qui vient alors t’inspirer, te redonner inspiration en triangulant, tiercéïsant et tu t’autoriseras, de façon un peu transgressive mais tu t’autorises à l’inspirer et, elle retrouve l’inspiration.
Alors, c’est encore ce statut en terme métapsychologique de l’ombre que j’aimerai mettre en dialogue, en croisement, avec l’oeuvre de Piera Aulagnier.
En effet, ne s’agit-il pas, avec cette notion d’ombre, aussi bien de quelque chose qui a à voir avec l’exil et son trauma personnel que de l’ombre parlée, l’ombre portée dont parle Piera Aulagnier ?
Ne s’agit-il pas du jeu d’une ombre composite qui travaillerait, imprégnerait inlassablement la langue, le langage, en sous œuvre, en lui imprimant toute sa souplesse, sa plasticité et donc sa fonction symboligène ?
D’autre part, ne peut-on pas s’autoriser à référer « ce jeu de l’ombre » aux effets du langage fondamental, c’est-à-dire à ces implantations très primitives et bien sûr refoulées dans la psyché humaine, à ce poly sensoriel du langage mère-enfant, toujours à l’oeuvre ?
C’est à dire, n’est-ce pas, ce langage fondamental qui parle en nous et sans discontinuer, depuis toujours, notre singularité d’être, se déployant à la fois sur l’axe de l’éprouvé mais également sur l’axe de la filiation ; ce langage secret, intime entre la mère et son bébé, c’est-à-dire au plus près de tous nos restes verbaux, de nos traces pluri sensorielles inscrites très primitivement, de nos mots pris dans le corps, leur musicalité, leur accent, leur densité qui parle le plus précoce, ces mots onomatopées, ces phonèmes vivants entre la chose et la parole pris dans l’émotion, le plaisir et la haine bien sûr … ne peut-on pas s’autoriser à y référer « ce jeu de l’ombre, ce don de l’ombre » ?
J’aimerais également faire un tout petit détour par Donald Meltzer et « son théâtre de la bouche » qu’il a développé comme théorie où - avec la kinesthésie de la langue, la sensorialité de tout le palais remise en œuvre à l’identique chaque fois qu’un phonème du langage privé, du langage fondamental mère-bébé se trouve prononcé- le sujet retrouverait une sorte de plaisir corporel, dans ce théâtre très particulier circonscrit à la cavité buccale, et qui diffuserait dans tout le corps.
Je pense bien sûr à Paul Celan mais à tous nos grands poètes puisque la poésie, ça se dit à haute voix … avec toute la vie et la vivacité, le rythme sensoriel de la cavité buccale.
Et puis un dernier détour,
Dans « mourir de penser », le dernier et neuvième tome du cycle « Le dernier Royaume », Pascal Quignard dissèque la pensée, ses plaisirs et ses dangers, interroge le langage, le temps, l’origine du monde. Il remonte aux sources même de la pensée (qu’est-ce que la pensée ? Pourquoi pense-t-on ?) en tentant d’en définir l’essence en opérant de nombreux détours et tâtonnements pour mieux cerner son objet, sa proie pourrait-on dire, car penser, loin d’être une activité contemplative, s’apparente, selon Pascal Quignard, à une chasse, une prédation pour rassasier « une faim intellectuelle sans cesse affamée » et nourrir notre curiosité. « Penser au risque de perdre l’estime des siens, au risque de quitter l’odeur humaine », au risque même d’en mourir comme Thomas d’Aquin mort devant son écritoire, Socrate poussé au suicide ou Héraclite Banni et persécuté.
Penser, c’est non seulement s’émanciper et prendre le risque de s’exclure de la communauté mais c’est aussi tutoyer l’abîme, tenter de retourner au savoir originaire ….
Il dira « la pensée est comme un retour de chez les morts » et Pascal Quignard s’aventure lui-même dans ces limbes matriciels en explorant l’origine des mots, leur étymologie grecque ou latine pour se frayer un chemin dans sa méditation en convoquant toutes ces figures mythologiques à la mesure dont tu as toi-même, Ghyslain, convoqué tous tes grands cueilleurs de la langue.
Je pensais également à l’œuvre (certes bien différente de Patrick Modiano ; avec, pour ne citer que quelques-uns de ses livres ; rue des boutiques obscures, pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, la petite bijoux, dans le café de la jeunesse perdue …etc.) où l’écriture pour lui, est moins le moyen de reprendre le pouvoir sur l’autre, ces autres qui ont peuplé sa vie tout en la déchirant par leur mystère, que de se faire enfin maître de sa vie, de cette enfance qu’il a dû subir sans rien y comprendre, soumis aux aléas des désirs des autres.
Mais comme on le sait, la blessure du manque, blessure de l’originaire, sorte de lancinant chant d’amour et de regrets, ne se suture jamais vraiment mais peut-être s’apaise grâce à l’écriture et au flot d’espoir qu’elle charrie ? Peut-être, seulement peut-être ? En effet, car toute l’œuvre de Modiano ressemble à un Kaléidoscope dont chaque roman changerait dans son mouvement la place des paillettes pour offrir une image presque semblable à la précédente mais pourtant complètement différente. Car là où se dessine un certain motif en surgit un nouveau, tapi dans la trame, dans l’ombre, comme s’il ne demandait qu’à apparaitre en palimpseste. Cette pensée qui se nourrit des traces de ce qui est perdu dans l’espoir d’un saisissable, cette pensée qui en définitive est à jamais vouée à convoquer l’absence par la polyphonie du sensoriel ; un sensoriel olfactif, visuel, auditif, kinesthésique qui se faufile dans l’écriture avec ses pseudopodes propulsés vers une matrice originaire, vers le langage fondamental avec le trait de la lettre entendue, vue, parlée, lue, cette lettre prise dans la chair même du corps …. L’espoir donc d’un saisissable qui assurerait un savoir sans énigme sur l’origine et ferait taire à jamais le désir …. Ne serait-ce pas là, la quête de Modiano ? Et la quête de bon nombre d’écrivain qui s’interrogent sur le pourquoi de l’écriture, qu’est-ce que c’est qu’écrire ? Pourquoi est-ce que j’écris comme ça ?
Alors, tu as , Ghyslain, dans ton ouvrage, également évoqué Jacques Trilling avec James Joyce ou l’écriture matricide précédé de jacques Dérida : avec la veilleuse ; sa préface) en soulevant la réflexion sur la dimension du matricide dans l’acte d’écriture, sur l’écriture matricide c’est-à-dire encore sur ce mouvement du meurtre de la matrice originaire, meurtre car volonté d’effacement de l’origine dans le fait d’écrire et donc effacement, haine de l’Etre, de l’ humain inscrit dans l’espace d’un symbolique tourné vers l’ouverture et la saisie illusoire et sans fin du jeu des objets entre eux.
Alors j’aimerai aussi t’interroger Ghyslain sur ta compréhension, ton sentiment à propos de ce double mouvement, mouvement composite chez l’écrivain qui est à la fois mouvement tourné vers l’ouvert, vers le kultur arbeit, mais tout autant mouvement mélancolique désymbolisant, compte à rebours guidé vers l’abîme par le jeu des traces flairées, œuvre de la pulsion de mort qui vient effacer toute la trajectoire identificatoire du sujet, donc de l’Etre.
Et pour conclure :
Je t'avais personnellement exprimé, Ghyslain, que ton « Don de l’ombre » était, dans une autre tonalité, certes, mais tout autant saisissant que ton "Ivresse du pire" et outre ma constante admiration pour la qualité d’une articulation littéraire, poétique et analytique de tes écrits, je dois dire que ton livre (comme tu le sais) m'a portée bien loin et bousculée sur le devant d'une scène qui m'habitait sans la connaître .. Au-delà des frontières connues de ma propre filiation, de ma propre histoire. Ainsi, je crois devoir à ton livre la délivrance d'un passeport que je ne possédais pas jusqu'alors pour cheminer, « pour creuser selon ton expression » plus loin solitaire dans de nouvelles étranges contrées (l’inquiétante étrangeté); pour creuser un intime encore plus intime, un étranger encore plus étranger et sans nulle doute plus étrange avec la part d’effroi auquel confronte cette présence du perdu en chacun mais résolument, pour celui auquel il est donné d’en soutenir le creusement, du côté de la création et de l’émergence du sens.
Et maintenant, je conclurai ma conclusion par quelques-unes de tes paroles picorée au gré de ma lecture que je trouve vraiment très expressives :
« Éclairer l’ombre du point obscur, rendre celle-ci présente comme présence d’un énigmatique à jamais insaisissable à partir de la concentration lumineuse de la pensée - Le don de l’ombre entre le trait de la pensée qui bondit et file en avant, et le retrait dans le mouvement qui échappe, se retire, s’enfouit, rebrousse. C’est là le jeu de la pensée curieuse, inquiète, le jeu du furet. A chaque passage, celui-ci abandonne des restes, des traces, des signes. Et c’est bien l’écoute analytique à l’œuvre dans la séance que de se concentrer, dans son attention égale en suspens, à la façon de Freud, retiré dans le noir, le silence et la solitude, afin d’en guetter les surgissements erratiques. Car sans ombre, plus de jeu possible - Ne devient-on pas psychanalyste à partir de ce désir nostalgique d’actualiser le perdu... » ?
Et enfin, puisque nous sommes tout de même en Bretagne (alors c’est peut-être la conclusion de la conclusion de la conclusion) ces paroles du poète, écrivain, journaliste, Xavier Grall : « Ne vivent haut que ceux qui rêvent dans l’ombre – L’art n’est qu’une respiration haletante dans l’ombre d’un insaisissable. - Je m’en reviendrais, avec ma musette pleine de larmes, de livres et de rêves. Et à mon tour je dévorerai l’inconnu dans une ineffable et éternelle étreinte. Je m’en viendrai avec la souvenance des paysages et des peuples. Chanteront les mers, danseront les galaxies, tressailliront les peules.
Et puis, je ne peux m’empêcher de vous inviter à re -parcourir le poème de Paul Valéry « le philosophe et la jeune Parque » qui passe pour le poème le plus obscur de la poésie française et dont voici quelques vers :
« Mais je ne suis en moi pas plus mystérieuse que le simple d’entre vous … (dit la jeune parques)
Mortels, vous êtes chair, souvenance, présage ;
Vous fûtes ; vous serez ; vos portez tel visage :
Vous êtes tout ; vous n’êtes rien,
Supports du monde et roseaux que l’air brise,
Vous VIVEZ ….. Qu’elle surprise !...
Un mystère est tout votre bien,
Et cet arcane en vous s’étonnerait du mien ?
Que seriez-vous, si vous n’étiez mystère ?
Etc…
Je te remercie Ghyslain, je vous remercie tous de m’avoir offert votre écoute attentive.
Catherine Even - Le Berre
LE LABYRINTHE DU SILENCE ( Im Labyrinth des Schweigens)
Un film de Giulio Ricciarelli (2014)
« Malheur à qui porte la vérité à ceux qui la combattent à la force du déni ! »
La remarque de Paul-Claude Racamier, dans son ouvrage L’inceste et l’incestuel (1995) m’est venue à l’esprit à la sortie du cinéma où je venais de voir ce film. Mis à part mon profond désaccord avec les théories de l’auteur du Génie des Origines, je me suis tout de suite demandé s’il était pertinent de mettre sur le même plan les crimes incestueux et les crimes contre l’humanité. Mais alors que le Mémorial de la Shoah ouvre ses portes à une exposition sur le génocide arménien, le nouage indéfectible entre horreur et indécence m’est apparu donner raison à cette association hasardeuse. Soit.
« Il vous faudra un camion ! »
C’est l’exclamation de l’officier américain qui, en ce jour de 1958, dans cette ville de Berlin (qui se prétend dénazifiée et où les jeunes gens n’ont jamais entendu parler d’Auschwitz), autorise le jeune procureur Johann Radmann à sortir les fiches des anciens SS gardiens de ce camp. A la fin du film, le même officier tentera en vain de le dissuader d’aller chercher, dans ces mêmes archives, le nom de son père disparu quinze ans auparavant.
Hallucinante recherche de la « laide vérité » qui va d’abord obliger le jeune homme à en venir presque aux mains avec un rescapé juif du camp, qui refuse au début de lui confier une mallette contenant des archives dérobées lors de l’arrivée des Russes.
L’ami du procureur, qui le met en contact avec le rescapé, est un journaliste d’investigation de deux ans son aîné. Sa recherche ardente de la vérité sur la Shoah se révèlera à la fin du film sous-tendue par la terrible culpabilité d’y avoir participé.
Bien loin de l’aura maléfique du Dr Mengele, tapi dans une sorte de banalité du mal, un ancien gardien du camp a retrouvé, dans cette Allemagne qui a décidé de se consacrer à sa reconstruction et au football, son poste d’instituteur. Lorsqu’on viendra le chercher dans la cour de récréation de l’école, il est en train de donner une gifle à un élève maladroit en lui disant : « Comme ça tu feras la différence entre ta gauche et ta droite ! »
« Silence is the real crime » (le vrai crime, c’est le silence), affirmait Hanna Segal en 1987 à propos de la terreur nucléaire. La formule perversement inversée par les criminels contre l’humanité est celle, orwellienne, que reprend en la dénonçant Pierà Aulagnier : le « crime-pensée ». En ce printemps de 2015, cela nous dit évidemment quelque chose.
Perdu un moment dans son labyrinthe, le procureur va déchirer à la fois sa veste, et sa relation amoureuse avec une coututière. « Ce n’est pas réparable », lui dit celle-ci lorsqu’il lui amène la veste. La fin du film laisse planer un léger espoir. Mais la tenue d’un prisonnier du camp, telle que nous pouvons aujourd’hui la voir derrière une vitrine du Mémorial, elle, ne pourra jamais être réparée... Et le navire baudelairien pris « dans un piège de cristal » (comme la nuit du même nom), nous laisse, comme cette veste, une métaphore de l’irréparable.C’est la trace qui appelle à réparation, pas le fait obscur tapi dans ce que le négationnisme appelle les détails de l’histoire. Mais pour cela, cette trace, il faut bien, encore, la faire réapparaître.
Voilà pourquoi le film de Ricciarelli mérite, à mon avis, l’ attention des psychanalystes et de tous ceux à qui la psychanalyse n’est pas étrangère.
Francis Drossart
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D’UNE VIE A L’AUTRE : UN FILM DE GEORG MAAS (Allemagne, 2013)
Monique Bydlowski définit la « dette de vie » comme la participation inconsciente à l’œuvre dans la transmission entre les générations. S’appuyant sur les travaux du Centre Picker-Loczy, Bernard Golse étudie ces effets chez les enfants accueillis en orphelinat.
Katrine (dont le rôle est magistralement interprété par Liv Ulmann, actrice dans « Sonate d’automne » d’Ingmar Bergman) est considérée comme l’un de ces enfants germano-norvégiens nés pendant la IIe Guerre Mondiale, récupérés par les nazis en vue de leur programme d’aryanisation (« Lebensborn »), puis abandonnés après la chute du IIIe Reich et considérés comme des intouchables. Comme d’autres enfants de la RDA, elle vivra dans un orphelinat sous le contrôle de l’omnipotente Stasi.
Nous la retrouvons bien des années plus tard en Norvège où elle a pu retrouver sa mère. Elle est, peu après la chute du Mur de Berlin, sollicitée par un avocat dans le cadre d’un procès contre l’Etat norvégien, sous l’égide de la Communauté Européenne. Acceptera-t-elle de témoigner, au risque de faire voler en éclats le fragile équilibre dans lequel elle et son mari (rôle interprété par Sven Nordin), avec leur fille, se sont paisiblement installés ?
Le film va nous réserver une surprise de taille.
Tout le poids et le contrepoids de la vérité et du mensonge vont défiler sous nos yeux de façon hallucinante, dans une recherche de la vérité des origines et des origines de la vérité qui ne peut qu’évoquer pour un psychanalyste la rencontre d’Œdipe avec la Sphynge. En termes bioniens, la lutte entre les fonctions C (désir de connaissance) et –C (haine de la connaissance).
« Confusion has made its masterpiece » (la confusion vient de produire son chef-d’œuvre), Macbeth.
Il faut saluer le coup d’éclat de Georg Maas qui par ce « Zwei Leben » s’élève d’emblée au niveau des plus grands auteurs, dramaturges et cinéastes qui se sont risqués sur ce thème redoutable de la confusion et du déni des origines : Shakespeare, Pirandello, Kubrick, Thomas Bernard… et quelques autre. Et de renouveler avec vigueur le thème que l’on croyait éteint de la liberté sartrienne, qui fait réécrire en permanence le passé à la lumière du présent.
Francis Drossart
1 pages.
Gravity
Par-delà ses effets spéciaux de film à grand spectacle, Gravity, de Alfonso Caron, nous montre l’être humain confronté à des forces physiques inhumaines. C’est aussi à mon sens une illustration des interactions violentes qui règnent dans l’univers schizo-paranoïde et celui de la position dépressive, tous deux décrits par Mélanie Klein.
« Dans l’espace avec son équipe, une astronaute est projetée dans l’infiniment grand, avec seulement quelques heures d’oxygène devant elle ».
La station orbitaire Explorer est en effet menacée par les produits de désintégration d’un autre satellite, qui se dirigent vers elle à très haute vitesse. Les seuls rescapés (la chargée de mission Ryan Stone dont le rôle est tenu par Sandra Bullock et le chef de mission alias George Clooney) vont devoir lutter pour leur survie. Ce dernier disparaitra lui-même dans la deuxième partie du film, dans un scénario à la Titanic, pour sauver sa jeune collègue.
Sur un fond de décor cosmique d’une grande beauté, prédomine un vécu schizo-paranoïde qui évoque les angoisses psychotiques et/ou autistiques décrites notamment par G.Haag et D.Houzel : chute, morcellement, clivage, désintégration, bidimentionnalité…
Par un phénomène d’identification projective pathologique, les espaces de sécurité dans lesquels se réfugie Ryan deviennent presque instantanément chargés de l’atmosphère catastrophique qu’elle porte avec elle (incendie…). Le clivage du self rejoint ici le clivage de l’objet avec retour en boomerang des parties projetées (écrous, outils, pièces détachées de la navette spatiale, stylos…).
Mais la culpabilité liée à la position dépressive apparaît peu à peu dans le scénario. Celle liée à l’histoire personnelle de Ryan qui a perdu sa propre fille. Mais également celle qui se rattache au sentiment d’avoir abandonné à son triste sort son collègue, un George Clooney qui, en père œdipien, ne lui exprime ses avances sexuelles qu’au moment où il disparait. Ce partenaire qui représente concrètement pour elle le lien par télécommunication avec la planète Terre nourricière…
Au moment où Ryan alias Sandra Bullock croit avoir enfin trouvé refuge dans une station orbitale russe, elle semble se laisser glisser mélancoliquement dans la mort, sauvée in extremis par le fantôme de George Clooney… Celui-ci la réveille dans un climat d’euphorie maniaque en partie entretenu par la vodka qu’il trouve dans la cabine. Ryan va alors trouver l’énergie du désespoir qui l’amène à rejoindre un autre module spatial chinois avec lequel, contre toute attente, elle pourra miraculeusement atterrir. Plongée au fond d’un lac, elle regagne à la nage un rivage d’une beauté stupéfiante. Comme pour nous indiquer que, livrée comme l’espace aux attaques destructrices de l’Anthropocène, et en risque d’être transformée en une décharge débordant d’épaves métalliques, la Terre était malgré tout, magiquement restée intacte.
Réparation maniaque, ou sublimatoire ?
Francis Drossart
1er novembre 2013
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Quelques réflexions autour du film
de François Ozon "Jeune et Jolie"
"Jeune et jolie"... hélas!
Certains se souviennent peut-être du "Mais ma petite fille, tu as complètement perdu la raison !" par lequel la bourgeoise de "La vie est un long fleuve tranquille" apostrophait sa jeune progéniture surprise à se maquiller dans la salle de bains... Quelques décennies plus tard, à notre époque post-moderne où Madame Bovary lit les "Cinquante nuances de Grey", le film de François Ozon mérite notre attention de psychanalystes. Non par ses qualités intrinsèques - à mon avis bien inférieures, dans le genre "mystère du féminin", à celles de "Belle de Jour" de Bunuel, de "Lolita" de Kubrick, ou même, plus récemment, de "Sleeping beauty" de Julia Leigh - mais par le message subliminal qu'il transmet, message idéologique et conformiste que je considère être la clé de son indéniable succès. Passons sur les clichés qui servent de toile de fond à cette descente de la belle lycéenne dans les souterrains du sexe tarifé. Ils sont nombreux : le dépucelage morose par un boy-friend tout droit sorti d'un épisode des "Bronzés", la fête d'anniversaire plus débile que nature, la liaison entre maman et le compagnon de sa meilleure amie, les cadenas du pont des amoureux, le danger du viagra chez les cardiaques d'un âge avancé, et l'éternel beau-père dans le rôle du chien dans un jeu de quille... Toute la médiocrité de ce que l'on persiste à appeler le "cinéma français" est là, à cent mille lieues du génie ironique d'Eric Rohmer auquel l'auteur emprunte fort lourdement le thème des "Saisons"...
Mais, comme il se doit, devant ce qui n'est après tout qu'un banal épisode de cette "ivresse du pire" que nous a si bien décrite Ghyslain Levy, la meute des "adolescentologues" s'est crue obligée d'y aller de son interprétation psychologisante : génération internet, addiction, équivalent anorexique, tendances suicidaires, masochisme exhibitionniste... manque l'encoprésie, pourtant suggérée par ces billets de banque cachés dans une armoire à linge. L'argent n'a pas d'odeur, sauf pour le fin limier de la brigade anti-proxénétisme qui découvre le pot aux roses. Mais sûrement pas pour le psychiatre aseptisé qui encaisse sans sourciller l'argent des passes de Léa pour le paiement de ses honoraires. Le "tout-psy" est donc ici convoqué, avec des commentaires d'une triste nullité. L'on pourrait, plus phénoménologiquement, évoquer devant cette élève sans désarroi, une nausée sartrienne fort habilement suggérée par l'abominable tapisserie à fleurs dont est affligée la chambre de l'adolescente. Tapisserie probablement héritée de cette grand-mère dont le prénom a servi de pseudonyme à la "pauvre petite fille riche". Grand-mère dont le lit de mort vient hanter, par effet d'après-coup, la scène de l'octogénaire expirant dans les bras de Léa, dans une chambre d'hôtel plus moderne mais aussi abominable. Ici l'on peut dire que François Ozon atteint, pour peu de temps du reste, une réelle beauté cinématographique. Mais quel est donc ce "message subliminal" que nous annoncions, comme vecteur de la réussite commerciale du film ? Comme toujours en psychanalyse, il faut le chercher là où l'on nous dit qu'il n'y a sûrement rien à voir. Tout le monde s'accorde à dire que la "petite fille riche" ne fait pas "ça" pour de l'argent. Pourquoi donc ? Mais, Bon Dieu, puisqu'on vous a dit qu'elle était riche ! Ah bon !... Comme si les riches n'avaient pas, encore plus que les autres, besoin (de beaucoup) d'argent?...
Il y a à n'en pas douter, dans ces grosses coupures dissimulées comme un trésor de guerre, quelque chose du Plan d'Epargne Etudiant. Et là, tout s'éclaire. Ne s'agit-il pas au fond de montrer que la demoiselle du Lycée Henri IV (H4, signifiant fort) est logée à la même enseigne - ou se loge elle-même à la même enseigne - que ces pauvres jeunes des Cités que l'inscription à l'Université ne dispense nullement d'un travail pénible dans un fast-food, des affres du surendettement... et bien sûr aussi, de la prostitution-masculine ou féminine. Le film aurait d'ailleurs sans doute gagné à ce que la lycéenne soit un lycéen. Mais les résistances qu'il aurait entraînées auraient été bien plus fortes. La moralité - platement bourgeoise - de "Jeune et jolie" est donc un pied de nez à la "misère étudiante" chaque année plus criante alors que le fossé se creuse toujours plus, dans notre société néolibérale, entre les Héritiers et les Déshérités. C'est une manière de faire dire à ces parents des beaux quartiers ("Vous savez, dit la mère de Léa, je gagne bien ma vie"), à l'intention des parents de laissés pour compte : "Nous sommes tous à la même enseigne ! Nos enfants aussi se prostituent. Vous seriez malvenus de venir vous plaindre !".
Francis Drossart
1 pages.
Cet entretien avec Hanna Segal a été réalisé à Londres en août 2001. Le principal interviewer était Daniel Pick. Jane Milton a posé quelques questions complémentaires et rédigé l’introduction et les notes. Tous deux sont psychanalystes et font partie de la Société britannique de psychanalyse (British Psychoanalytical Society). Le but de cet entretien était de recueillir des souvenirs sur la personne de Mélanie Klein et des réflexions personnelles sur ses apports cliniques et théoriques. À l'origine publié sur le site du Melanie Klein Trust, nous tenons à remercier le Melanie Klein Trust et John Steiner de nous avoir autorisée à traduire et publier en ligne cet entretien avec Hanna Segal.
G. Le Roy
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22 pages.
Texte de l'intervention effectuée dans le cadre des journées scientifiques "Vivre à la Hauteur de sa condition psychique"
Et figurant dans les actes publiés en ligne .
6 pages.
Texte de l'intervention effectuée dans le cadre des journées scientifiques "Vivre à la Hauteur de sa condition psychique"
Et figurant dans les actes publiés en ligne .
4 pages.
Texte de l'intervention effectuée dans le cadre des journées scientifiques "Vivre à la Hauteur de sa condition psychique"
Et figurant dans les actes publiés en ligne .
4 pages.
Texte de l'intervention effectuée dans le cadre des journées scientifiques "Vivre à la Hauteur de sa condition psychique"
Et figurant dans les actes publiés en ligne .
5 pages.
Texte de l'intervention effectuée dans le cadre des journées scientifiques "Vivre à la Hauteur de sa condition psychique"
Et figurant dans les actes publiés en ligne .
3 pages.
Présente au colloque La force du nom : "Leur nom ils l'ont changé" qui s'est tenu à Paris, d’abord, au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, le 18 octobre, puis à Jérusalem, les 1,2,3 novembre 2009, Michelle Moreau Ricaud en livre ici son compte rendu. Rappelons que ce colloque à donné lieu à un ouvrage du même nom paru en octobre 2010 aux éditions Desclée de Brouwer, et dont vous trouverez les références complètes ici
6 pages.
Mots clés : Jérusalem, colloque, histoire de la psychanalyse
En 2006, le quotidien "der Standard" publie un entretien de Margarethe Walter, dernière patiente de Freud encore vivante, avec Peter Roos. Lire la traduction de cette rencontre
Freud et le baiser de cinéma (Traduction)
4 pages.
Texte de la rencontre avec Fethi Benslama qui a eu lieu le 29 novembre 2008 à Lyon dans le cadre du CYCLE "PSYCHANALYSE ET SPIRITUALITES".
2 pages.